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Espagne-loi antitabac: Année nouvelle, poumons nouveaux!
par Christian Galloy
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"Au fond de toi-même, tu sais que ce sera aussi bon pour toi" Publicité antitabac du ministère espagnol de la Santé |
MADRID, dimanche 1er janvier 2006 (LatinReporters.com) - "Année nouvelle,
poumons nouveaux!" clamait dimanche un journaliste de la Radio nationale
espagnole. La loi antitabac est entrée en vigueur à minuit.
Dur, dur pour les 30% de compatriotes de Christophe Colomb accros à
la nicotine. Le grand navigateur ouvrit voici cinq siècles la globalisation
tabagique en ramenant de Cuba la feuille que fumaient les Indiens.
Avec la Grèce, l'Espagne est le
pays de l'Union européenne
comptant le plus haut pourcentage de fumeurs.
Imposée donc dès la nuit de la Saint-Sylvestre, la nouvelle
loi, tant redoutée selon les médias, est pourtant arrivée
sur la pointe des pieds. "Il n'y aura pas de contrôle la nuit du réveillon"
avait annoncé la ministre de la Santé, Elena Salgado.
A Madrid, dans nombre de discothèques, de bars et de restaurants de
petites affiches placardées avant samedi minuit signalent les zones fumeurs
et non fumeurs. D'ici le 1er septembre 2006, les séparations devront
être étanches, avec systèmes d'aération séparés.
Dans l'ambiance du réveillon, bonne cohabitation entre esclaves et
ennemis du tabac. Provocation sans conséquence: dans une station de
métro, dimanche au centre de Madrid, des jeunes fumaient ostensiblement
en groupe sur le quai.
Dans les ministères, on évacue les cendriers. La véritable
épreuve, pour les fumeurs, commence lundi avec l'abstinence forcée
dans les bureaux.
Arguant de l'Europe, de la protection de l'enfance et surtout de 55.000 morts
par an (qui rendent la cigarette plus meurtrière en Espagne que le
sida, l'alcool et les accidents de la route réunis), la loi antitabac
interdit de fumer sur les lieux de travail publics et privés. Même
l'aménagement d'un fumoir isolé y est prohibé. L'alternative,
pour les crises de manque, est le balcon, le toit ou le trottoir.
Interdiction globale aussi de fumer dans tout type de local accessible aux
moins de 16 ans.
Dans les bars et restaurants de plus de 100 m2, la zone fumeurs ne pourra
pas dépasser 30% de la superficie. "C'est très bien. Nous ne
serons plus des fumeurs passifs, avec tous les risques pour notre santé"
applaudit Maria Pilar, journaliste madrilène.
Quelque 700 Espagnols non fumeurs succombent chaque année pour avoir
dû respirer l'air vicié par des intoxiqués conscients
des risques que leur fumée fait courir aux autres. Comparaison politiquement
incorrecte, véhémente et anonyme d'un autre journaliste: "L'hécatombe
moyenne, tous les cinq ans, de 3.500 fumeurs passifs espagnols surpasse les
3.000 morts et disparus au Chili
en dix-sept ans de dictature d'Augusto Pinochet"...
"Fumer relève de la droite" disait pour sa part début décembre, mais en
plaisantant à demi, le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero, président du
gouvernement espagnol.
Les touristes aussi doivent respecter la loi
Les 50 millions de touristes accueillis chaque année en Espagne doivent aussi
respecter la loi. Fumer là où c'est interdit est passible d'une
amende de 30 euros à la première infraction, de 600 euros à
la seconde et de ...10.000 euros! à la troisième et au-delà.
Désormais interdite aussi, la publicité pour le tabac pourrait
coûter jusqu'à 600.000 euros à son auteur.
La loi antitabac autorise néanmoins une exception de taille. Les patrons
de bars et restaurants de moins de 100 m2 -l'Espagne en compte 120.000- peuvent
en effet choisir: leur établissement sera ou totalement fumeur ou
totalement non fumeur.
A Pozuelo, dans la banlieue huppée de Madrid, Bernabe Molino, patron
du restaurant La Gitana (La Gitane... nom prédestiné en matière
de tabac) a déjà rivé à l'entrée une plaque
qui annonce "Etablissement fumeur", puis, en plus petit, "Fumer nuit gravement à
votre santé et à celle de ceux qui vous entourent", un avertissement
réglementaire.
"J'ai affiché fumeur, sinon je devrais dire salut la compagnie, fermer
et m'en aller, car je n'aurais plus que 30% de ma clientèle" explique
Bernabe Molino. A en croire les médias, 90% des patrons de petits
restaurants auraient fait le même choix que lui.
Le site Internet du ministère de la Santé offre un argumentaire
de 50 pages pour aider les accros à dire adios à la cigarette.
Ils y apprennent notamment que, délivrés de la fumée,
"vos baisers n'auront plus la saveur rance d'un cendrier" (sic).
Le centre téléphonique mis en place par le ministère
est saturé d'appels et de questions:
-"Puis-je fumer dans mon camion?" Réponse: "Oui, car ce n'est pas
un centre de travail".
-"Peut-on fumer dans la chambre d'un puti-club (lupanar routier)?"... Pas
de réponse. (Les lupanars sont illégaux en Espagne, mais ils
existent).
Dans les prisons espagnoles, des détenus réclament des cellules
non fumeurs.
Enfin, paradoxe, les bureaux de tabac applaudissent. Il est vrai que la nouvelle
loi leur confère le monopole de la vente de cigarettes, à l'unique
exception des machines automatiques qui peuvent être installées
là seulement où fumer est autorisé.
Impossible donc, désormais, d'acheter son paquet au supermarché,
à la station-service ou au kiosque à journaux. Aussi, dans
les zones frontalières, les buralistes espagnols devraient-ils monopoliser
le tourisme tabagique international alléché par des prix descendant
jusqu'à un petit euro le paquet.
"L'Espagne ne peut pas être le bureau de tabac de l'Europe" estime
pourtant la ministre Salgado.
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