BARCELONE, mercredi 28 juillet 2010 (LatinReporters.com)
- Largement en déclin en Catalogne (nord-est de l'Espagne), les corridas
y seront prohibées à partir du 1er janvier 2012. La prohibition
a été votée le 28 juillet au Parlement régional
catalan par 68 voix contre 55 et 9 abstentions. Préoccupations animalières
et nationalisme catalan se sont côtoyés dans un débat
qui a élargi le fossé entre la Catalogne et Madrid.
"Le monde nous regarde. Nous avons une responsabilité qui transcende
les frontières de la Catalogne" clamait mercredi dans l'hémicycle
régional Joan Puigcercos, président du parti
indépendantiste Esquerra Republicana de Catalunya (ERC, Gauche républicaine
de Catalogne). Rejetant "la violence et la torture comme spectacle", il affirmait
que les opposants à la mise à mort de taureaux se font aujourd'hui entendre aussi
ailleurs dans le monde, "au Mexique, au Venezuela, en France, au Portugal".
Dans l'archipel des Canaries, unique autre région
d'Espagne ayant prohibé les corridas, l'interdiction fut adoptée
en 1991 à l'initiative d'un élu du Parti Populaire (PP, droite)
a rappelé Joan Puigcercos. Mais le même PP a mené la
campagne contre la prohibition en Catalogne, accusant les nationalistes d'agiter
un débat plus politique qu'animalier en assimilant la corrida à
un signe identitaire du prétendu centralisme espagnol.
Le PP (droite) tentera d'abolir la compétence de la Catalogne
La présidente du PP catalan, Alicia Sanchez Camacho, s'est interrogée
après le vote sur l'éthique de partis politiques qui ont approuvé
l'avortement, mais qui interdisent aujourd'hui la corrida en invoquant la
protection de la vie animale. Elle a annoncé que le PP proposerait
à Madrid aux Cortes (Parlement espagnol) d'octroyer aux corridas le
statut de "fête d'intérêt général" nationale
afin que la compétence des institutions catalanes en la matière
soit abolie.
Le président national du PP, Mariano Rajoy, a confirmé qu'il
concrétiserait "au nom de la liberté" la proposition parlementaire
annoncée par Alicia Sanchez Camacho. Le débat
ne serait donc pas clos, d'autant que tous les sondages, peut-être
prématurés, prédisent une large victoire du PP et une
débâcle des socialistes gouvernementaux de José Luis
Rodriguez Zapatero aux prochaines élections législatives espagnoles. Elles
se tiendront au plus tard en mars 2012.
Citant notamment Goya, Picasso et Garcia Lorca parmi les Espagnols universels
inspirés par la tauromachie, Esperanza Aguirre, présidente
de la région de Madrid, principale citadelle du PP, annonçait déjà début mars, en réaction au débat catalan, son intention de protéger la corrida en l'inscrivant au patrimoine culturel régional.
La France mêlée au débat
Lors d'auditions organisées en mars dernier au Parlement catalan,
à Barcelone, plusieurs responsables français avaient défendu
la "fiesta". Christian Bourquin, président du Conseil général
du département des Pyrénées orientales, rappelait
alors que des corridas sont organisées en Catalogne française
et il appelait les parlementaires à "ne pas dresser une barrière
entre cousins, entre une Catalogne tolérante et une qui ne le serait
pas". Supprimer les corridas serait une "perte pour l'humanité" estimait
pour sa part le philosophe français Francis Wolff, opposant la "beauté"
de la mort du taureau dans l'arène à la mort "froide et hypocrite
dans les abattoirs".
Des députés français anti-corrida ont soutenu par
contre leurs collègues catalans peu avant le vote décrétant
l'interdiction. "A la veille de ce vote, toutes celles et ceux qui parmi
les 135 députés catalans s'exprimeront contre cette pratique
d'un autre âge peuvent compter sur le soutien des 58 députés
français qui ont cosigné la proposition de loi majorité-opposition
Marland-Gaillard pour interdire les corridas et les combats de coqs en France",
écrivait le 27 juillet dans un communiqué la députée
UMP Muriel Marland-Militello.
La prohibition votée mercredi en Catalogne est l'aboutissement d'une
initiative législative populaire (ILP) déclenchée par
plus de 180.000 signatures présentées l'an dernier au Parlement
catalan par la plate-forme anti-taurine "Prou!" ("Ça suffit!" en catalan).
L'ILP a été appuyée publiquement par les indépendantistes
d'ERC et les écolo-communistes d'ICV (Iniciativa per Catalunya Verds).
Ces deux partis forment avec les socialistes le gouvernement tripartite catalan.
Les socialistes, ainsi que les nationalistes de centre droit de Convergencia
i Unio (CiU) avaient toutefois laissé mercredi la liberté
de vote à leurs députés. Le respect invoqué
de la diversité des opinions, mais aussi l'approche des élections
catalanes, prévues à l'automne, expliquent cette prudence.
"J'ai voté contre [la prohibition], car je crois à la liberté"
a tout de même déclaré avec franchise le socialiste José
Montilla, actuel président de la Catalogne. Selon lui, il aurait été
préférable que la continuité ou non de la corrida
ne dépende pas d'une imposition légale, mais plutôt de l'évolution
de la société. A ce propos, les Catalans n'affichent plus depuis
plusieurs années un goût prononcé pour la tauromachie.
La Monumental de Barcelone est l'unique place accueillant encore des corridas
dans cette riche Catalogne qui compte 7,5 millions d'habitants. On y organise
moins de 20 des quelque 2.000 corridas recensées chaque année
en Espagne.
La réduction de l'autonomie catalane avait "réchauffé"
l'ambiance
Culture, liberté, tradition et préoccupations économiques
ont été les arguments des adversaires de la prohibition de
la "fiesta" nationale en Catalogne. Eviter la souffrance et la mort des taureaux
et assumer "les nouveaux consensus de la civilisation", selon l'expression
de Joan Puigcercos, motivèrent les partisans victorieux de l'interdiction.
A Madrid, médias et élus conservateurs n'ont cessé d'y
voir un débat identitaire forcé par une Catalogne désireuse
de larguer les amarres la rattachant à l'Espagne. Même l'influent
journal de centre gauche El Pais prévenait la veille du vote, sous
la plume d'Enric Company, que "l'ambiance politique réchauffée
par la réduction du statut d'autonomie [de la Catalogne] dictée
par le Tribunal constitutionnel s'offre aux députés catalans
comme une tentation difficile d'esquiver".
Le 28 juin dernier, le Tribunal constitutionnel espagnol provoquait entre
Madrid et les autorités catalanes une crise institutionnelle non résolue
jusqu'à présent. Donnant partiellement raison au PP qui l'avait
saisi, ce tribunal mutilait dans le statut d'autonomie régionale catalan
le concept de "nation", l'hégémonie de la langue catalane,
l'autonomie du pouvoir judiciaire régional et des prérogatives
financières et fiscales propres.
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