BARCELONE / MADRID, lundi 12 juillet 2010 (LatinReporters.com) - Derrière
les calicots officiels
"Nous sommes une nation" et
"Nous décidons
pour nous-mêmes", mais aussi sous le cri
"Indépendance!"
surgissant sporadiquement en d'immenses clameurs, plus de 1,1 million de Catalans
(chiffre de la police municipale) ont manifesté le 10 juillet à
Barcelone contre la réduction de l'autonomie de la Catalogne par le
Tribunal constitutionnel espagnol.
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Vidéo de la manifestation diffusée par la chaîne publique catalane TV3 |
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Deux fois seulement dans le passé une telle marée humaine
avait déferlé dans la capitale catalane. En 2003 pour s'opposer
à la participation de l'Espagne à la guerre en Irak et en 1977,
deux ans après la mort du dictateur Franco, pour réclamer liberté,
amnistie et statut d'autonomie régionale, étrenné en
1979.
Dans un jugement imputé à une majorité de magistrats
dits progressistes et rendu public le 28 juin dernier, le Tribunal constitutionnel
secouait la Catalogne en invalidant des dispositions emblématiques
du statut d'autonomie élargi en 2006. Le Parlement catalan, la Chambre
et le Sénat espagnols et un référendum régional
ad hoc avaient entériné successivement ce nouveau statut. Le
jugement n'en mutile pas moins le concept clef de nation, déclaré
"dépourvu d'efficacité juridique" lorsqu'appliqué
à la Catalogne. Sont écartées aussi l'hégémonie
de la langue catalane, l'autonomie du pouvoir judiciaire régional,
des prérogatives financières et fiscales de la Catalogne et
l'aspiration de cette région à transformer progressivement
ses liens avec l'Espagne en relation bilatérale entre partenaires
égaux.
Convoquée contre ce jugement par Omnium Cultural, association pour
la promotion de la langue et de l'identité catalanes, proche des
indépendantistes, la manifestation du 10 juillet était soutenue
par les principaux partis de la région, à l'exception des conservateurs
du Parti populaire (PP). Il s'agissait en principe de défendre l'intégrité
du statut d'autonomie, mais le rassemblement a rapidement tourné en
démonstration de la force d'aspirations souverainistes.
Socialistes catalans contre Espagne socialiste
Selon l'un des pères de la Constitution espagnole, le socialiste Gregorio Peces Barba, "Zapatero
soutint avec une imprudente fermeté que ce qui serait approuvé en Catalogne le serait à Madrid".
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La puissante fédération nationaliste de centre droit CiU,
les indépendantistes de gauche d'ERC et la branche catalane du Parti
socialiste au pouvoir à Madrid avaient appelé la population
à se joindre à cette protestation, non sans arrière
pensée électorale avant le renouvellement du Parlement régional
à l'automne. Le président socialiste du gouvernement catalan,
José Montilla, et deux de ses prédécesseurs, le socialiste
Pasqual Maragall et le nationaliste Jordi Pujol, soutenaient dans le défilé
un immense drapeau catalan de 250 m².
Que des dirigeants socialistes catalans manifestent contre le Tribunal constitutionnel,
l'une des principales institutions de l'Espagne gouvernée également
par des socialistes, en l'occurrence José Luis Rodriguez Zapatero et
ses ministres, n'est pas le moindre des paradoxes. Pour avoir trop flatté
la fibre nationaliste catalane afin de conquérir avec son appui le
pouvoir à Madrid, M. Zapatero semble en être aujourd'hui la victime.
Arroseur arrosé, car principal promoteur initial du statut régional de 2006
désormais mutilé, le président du gouvernement espagnol
pourra-t-il colmater la brèche souverainiste qu'il a élargie
par des concessions extraconstitutionnelles aujourd'hui désapprouvées?
"L'attitude irresponsable de Zapatero, ouvrant la voie à tous
les excès" était dénoncée le 30 juin par l'un
de ses coreligionnaires les plus respectés, le socialiste Gregorio
Peces Barba, père parmi d'autres de l'actuelle Constitution démocratique
et professeur de philosophie et de droit à l'Université Carlos
III. Dans un article publié par l'influent quotidien de centre gauche
El Pais deux jours après le jugement du Tribunal constitutionnel, Gregorio
Peces Barba estimait que
"le processus est le résultat d'une accumulation
d'absurdités et d'erreurs". Et d'en citer comme responsables
"le
gouvernement catalan et les partis politiques catalans", ainsi que
"le
secrétaire général du PSOE [Parti socialiste ouvrier
espagnol],
Rodriguez Zapatero, qui soutint avec une imprudente fermeté
que ce qui serait approuvé en Catalogne le serait à Madrid".
"Déchirure évidente"
Le rabotage de l'autonomie
catalane trace des limites qu'aucune autre autonomie régionale ne pourra en principe dépasser.
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L'éditorialiste d'El Pais estime que
"les partisans de l'indépendance
ont capitalisé" la manifestation du 10 juillet, convoquée
en principe pour le maintien d'une large autonomie de la Catalogne. Le journal
se demande, sans l'affirmer, si l'on assiste à
"un déplacement
général de la politique catalane vers le souverainisme".
"Il y a une déchirure évidente et aveugle sera celui qui
ne voudra pas le voir" écrit pour sa part José Antich, directeur
de La Vanguardia. Un avertissement d'autant plus significatif que ce quotidien
catalan, le principal de la région, est modéré et publié
en espagnol.
"Ils nous ont fermé la porte. On nous oppose une Constitution
rigide et fermée. La Catalogne devra maintenant changer de voie et
miser sur la possibilité de décider de son propre futur"
affirmait pendant la manifestation aux journalistes Artur Mas, président
de la fédération nationaliste CiU. Actuellement dans l'opposition,
mais favori selon les sondages des élections catalanes de l'automne,
il fait figure de prochain président potentiel du gouvernement régional.
Jugeant, lui, que les débats sur l'autonomie régionale sont
désormais dépassés, Joan Puigcercos, président
des indépendantistes de gauche d'ERC, juge nécessaire de
"demander
maintenant au peuple catalan s'il veut être indépendant ou non".
A noter qu'ERC et les écolo-communistes catalans forment avec les socialistes
l'actuel gouvernement régional.
Au désastre socio-économique national illustré par
4,6 millions de chômeurs, 20% de la population active de l'Espagne,
s'ajoute donc une crise institutionnelle imposée par la riche Catalogne,
peuplée au nord-est de l'Espagne de 7,5 millions d'habitants. Les
nationalistes basques ne simplifient rien. Leurs dirigeants étaient
venus manifester aussi à Barcelone, car le rabotage de l'autonomie
catalane trace des limites qu'aucune autre autonomie régionale ne
pourra en principe dépasser.
Le Tribunal constitutionnel avait été saisi contre le statut
d'autonomie catalan par l'opposition conservatrice incarnée par le
Parti populaire (PP) de Mariano Rajoy. La victoire politique du PP est considérable,
mais l'avenir dira quel en est le prix réel dans un pays où
nationalisme espagnol et nationalismes régionaux s'alimentent mutuellement. (A
ce propos, ceci dit pour sourire tout de même un peu, l'Espagne a été
sacrée hier à Johannesburg championne du Mondial de football
2010, mais les huit buts marqués en sept matchs en Afrique du Sud
par les nouveaux champions du monde l'ont tous été par des
joueurs du F.C. Barcelone...!)
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