BARCELONE / MADRID, mercredi 30 juin 2010 (LatinReporters.com) - Prenant des allures de
défi institutionnel, "l'indignation" des autorités politiques
de la Catalogne répond au jugement du Tribunal constitutionnel espagnol
qui a raboté le 28 juin des points emblématiques du statut d'autonomie
catalan adopté en 2006.
Dans cette riche région de 7,5 millions d'habitants du nord-est de
l'Espagne, le jugement et l'approche des élections catalanes prévues
pour l'automne chauffent la fibre nationaliste qu'avait cru utile de flatter
à son profit, peut-être sans en mesurer pleinement les conséquences,
le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero, chef du gouvernement espagnol.
La sentence du Tribunal constitutionnel ouvre "une crise d'Etat" estime
Ernest Benach. Il préside le Parlement régional et appartient
au parti indépendantiste Esquerra Republicana de Catalunya (ERC, Gauche
républicaine de Catalogne), l'un des trois partis de gauche qui gouvernent
la région sous la houlette du président de la Catalogne, le
socialiste José Montilla.
C'est la facture de l'alliance entre José Luis Rodriguez Zapatero
et le catalanisme de gauche que vient de présenter le Tribunal constitutionnel.
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Le président d'ERC, Joan Puigcercos, affirme, lui, "ne pas
se soumettre" à la sentence. Il exhorte à "une transition
vers l'indépendance", avec référendum souverainiste
aux résultats "contraignants" dès 2011.
"Désormais ce statut n'est plus celui du peuple catalan... Nous
devons nous faire respecter. Quoi que dise le Tribunal constitutionnel,
la Catalogne est une nation" clame pour sa part le président de la
puissante fédération nationaliste de centre droit Convergencia
i Unio (CiU), Artur Mas. Favori selon les sondages des élections
catalanes et donc prochain président potentiel de la Generalitat,
ce libéral défenseur d'un nationalisme tolérant et moderne
admettait en septembre dernier, en marge d'un référendum sans
valeur légale convoqué à Arenys de Munt par un collectif
indépendantiste, qu'il voterait pour l'indépendance de la Catalogne
s'il le pouvait.
Quant à l'actuel président de la Generalitat, José
Montilla, il ponctue son "indignation" d'un appel à manifester "massivement",
le 10 juillet à Barcelone, "pour défendre notre autogouvernement".
Ce socialiste d'origine andalouse est plus que jamais contraint de miser
sur la spécificité du socialisme catalan dans l'espoir d'éviter
une débâcle électorale liée à l'effondrement
de la popularité, pour causes de catastrophe socio-économique
et d'incompétence trop manifeste, du gouvernement socialiste espagnol
présidé à Madrid par José Luis Rodriguez Zapatero.
Mot nation "dépourvu d'efficacité juridique"
Le Tribunal constitutionnel n'a pas invalidé l'actuel statut d'autonomie
catalan, en vigueur depuis quatre ans, mais le symbolisme de quatre des
éléments qu'il corrige explique l'émoi nationaliste.
Le jugement mutile le concept de nation, l'hégémonie de la
langue catalane, l'autonomie du pouvoir judiciaire régional et des
prérogatives financières et fiscales de la Catalogne.
Le terme "nation" et l'expression "réalité nationale de Catalogne"
utilisés dans le préambule du statut pour définir la
région sont déclarés "dépourvus d'efficacité
juridique". Les motivations de la sentence, qui seront rendues publiques
ces prochains jours, le confirmeraient lourdement en mentionnant à
huit reprises, selon divers médias espagnols, "l'indissoluble unité
de l'Espagne".
Le catalan demeure la langue "d'usage normal" en Catalogne, mais le Tribunal constitutionnel
lui retire son caractère "préférentiel" dans les administrations
et les médias publics régionaux.
Les limites posées aux prérogatives du Tribunal supérieur
de justice de la Catalogne et le rejet d'un Conseil de justice de la Catalogne
érigé en administrateur suprême du pouvoir judiciaire
régional balaient la quasi indépendance octroyée à
la justice catalane par le statut d'autonomie.
Au chapitre financier, le Tribunal constitutionnel supprime le lien entre,
d'une part, la contribution fiscale de la Catalogne au bien-être national
et, d'autre part, "un effort fiscal similaire" des autres régions.
Disparaît ainsi une possibilité de réduction de l'apport
fiscal de la Catalogne au reste de l'Espagne. Le jugement retire aussi à
la Catalogne la faculté de lever et de régir des impôts
propres aux municipalités.
Satisfaction du Parti Populaire (droite)
Diverses autres prérogatives régionales sont altérées
par le jugement. Au total, 14 des 223 articles du statut d'autonomie catalan
sont frappés d'inconstitutionnalité totale ou partielle. Le
Tribunal constitutionnel conditionne en outre à sa propre interprétation,
non précisée jusqu'à présent, la constitutionnalité
de 23 autres articles et de 4 dispositions. Dans cette catégorie figure l'article portant
sur les "symboles nationaux" (drapeau, hymne, fêtes).
Le recours pour inconstitutionnalité introduit en juillet 2006 par
le Parti Populaire (PP, droite) de Mariano Rajoy visait 126 articles. "A
peine" 14 étant invalidés et 95% des articles du statut ayant
survécu au crible du Tribunal constitutionnel, le gouvernement socialiste
espagnol de M. Zapatero parle de "défaite écrasante" du Parti
Populaire.
José Maria Brunet, analyste de l'influent journal catalan La Vanguardia,
note toutefois, comme la plupart de ses confrères de la région,
qu'il convient de considérer la qualité plutôt que la
quantité des articles rejetés. Sur cette base, force est de
constater que le Tribunal constitutionnel a affaibli substantiellement les
axes politique, économique et même sentimental du statut d'autonomie
catalan. Le nationalisme est en principe freiné et contraint judiciairement
au recul, comme le prétendait le PP. Mariano Rajoy s'en déclare
satisfait. Mais la vive réaction des institutions catalanes contre
le jugement relativise cet acquis. Une flambée incontrôlable
de fièvre indépendantiste est redoutée.
Tant pour les nationalistes catalans que pour le gouvernement espagnol de
M. Zapatero, dont la satisfaction apparente masque mal la défaite,
la pilule est d'autant plus amère que le statut raboté avait
été approuvé successivement par le Parlement catalan,
par la Chambre des députés et le Sénat espagnols, ainsi
que par les électeurs catalans lors d'un référendum ad
hoc.
De plus, en vigueur depuis 2006, le nouveau statut a déjà
créé en Catalogne son propre paysage politique au moyen d'une
quarantaine de nouvelles lois dont plusieurs devront théoriquement être
révisées ou abrogées en fonction de la sentence constitutionnelle.
Cet imbroglio explosif est inédit dans l'histoire des autonomies
régionales espagnoles.
Par ailleurs, que le Tribunal constitutionnel ait tardé quatre ans
à corriger les dérapages statutaires est surprenant dans un
Etat qui se dit de droit. La fibre socialiste de certains magistrats les
aurait-elle portés à retarder la sentence dans l'espoir, apparemment
vain, que l'ampleur du fait accompli ne décourage la justice?
Avec l'aide d'Al-Qaïda
"Pasqual, j'appuierai le réforme du statut de la Catalogne qu'approuvera
le Parlement de la Catalogne" déclarait sans réserve et publiquement le 13 novembre
2003 à Barcelone le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero, alors leader
de l'opposition au gouvernement espagnol du conservateur José Maria
Aznar. Le socialiste Pasqual Maragall devenait un mois plus tard président
de la Catalogne en formant l'actuelle coalition tripartite de gauche (socialistes
+ indépendantistes d'ERC + écolo-communistes d'Iniciativa per
Catalunya Verds). Il ambitionnait d'élargir les compétences
régionales via un nouveau statut que devait obligatoirement accepter
à Madrid les Cortes (Parlement espagnol). M. Zapatero, lui, flattait
cette ambition pour disposer en Catalogne d'un solide réservoir de
voix en prévision de prochaines élections législatives
nationales.
Les terroristes d'Al-Qaïda comblèrent ce double dessein. Les
191 morts et 1.856 blessés des attentats de Madrid perpétrés
le 11 mars 2004 par des intégristes islamistes provoquèrent
en effet un formidable choc émotionnel aussitôt mis à
profit par José Luis Rodriguez Zapatero pour remporter trois jours
plus tard les élections législatives, contredisant les sondages
unanimes à prédire sa défaite. Le nouveau statut d'autonomie
catalan était ensuite rapidement mis en chantier et, en contrepartie,
les élus aux Cortes des partis membres de la tripartite catalane ont
souvent constitué depuis, malgré divers aléas, un appoint
précieux pour la majorité parlementaire seulement relative
de M. Zapatero.
C'est la facture de cette alliance entre José Luis Rodriguez Zapatero
et le catalanisme de gauche que vient de présenter le Tribunal constitutionnel.
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