Le premier enfant de Letizia et Felipe est une fille
Espagne-naissance royale: Leonor secoue la Constitution et la raison
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Letizia Ortiz et le prince Felipe Photo LatinReporters.com |
par Christian Galloy
Analyste politique, directeur de LatinReporters.com
MADRID, lundi 31 octobre 2005 (LatinReporters.com)
- Si elle n'a pas de frère ou si la loi salique est expulsée
de la Charte suprême, Leonor sera reine d'Espagne dans 40 ou 50 ans.
A condition, encore, qu'une IIIe République ne soit pas proclamée
d'ici là. Née lundi dans la nuit madrilène, premier
enfant du prince héritier Felipe et de l'ex-journaliste Letizia Ortiz,
Leonor de Bourbon secoue la Constitution et la raison.
L'infante nouveau-née occupe la deuxième ligne dans la succession
à la couronne, après le prince Felipe lui-même. Ce dernier
deviendra Felipe VI lorsqu'il succédera à son père,
le roi Juan Carlos Ier. Aussi le règne éventuel de Leonor relèvera-t-il
en principe de la seconde moitié de ce 21e siècle.
Pour la succession au trône d'Espagne, l'article 57/1 de la Constitution
préfère "l'homme à la femme" dans la même ligne
et le même degré. Le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero,
président du gouvernement et féministe militant, promettait
dès son investiture, en avril 2004, de jeter aux oubliettes ce vestige
de loi salique. La naissance de Leonor crée une forte pression en
faveur du respect de cette promesse de révision constitutionnelle.
Mais toute modification de la Charte suprême touchant la couronne bouleversera
le cadre politique. Car la révision devrait non seulement être
approuvée à la majorité des deux tiers de chacune des
deux Chambres, mais aussi être suivie de la convocation d'élections
législatives. Les nouveaux députés et sénateurs
devraient approuver à leur tour la révision constitutionnelle.
Cette dernière, enfin, serait soumise à un référendum
national.
La perspective d'élections anticipées liées à
une rapide révision constitutionnelle n'élargira pas le sourire
perpétuel de M. Zapatero. Sa gestion des autonomies régionales,
qui a réactivé l'incendie nationaliste en Catalogne, et la
pression de l'immigration clandestine sur les frontières sud de l'Espagne
rabaissent désormais, dans les sondages, les socialistes au niveau
du Parti populaire (PP, opposition conservatrice).
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31 octobre 2003: la veille de l'annonce de ses fiançailles avec le prince Felipe, Letizia Ortiz présente pour la dernière fois le journal télévisé - Photo LatinReporters.com |
En outre, malgré les éloges lancés par M. Zapatero,
pour saluer la naissance de Leonor, à "l'inestimable fonction d'intégration
sociale et territoriale" de la monarchie, le républicanisme n'est
pas mort en Espagne. Latent au sein du Parti socialiste ouvrier espagnol
(PSOE) de M. Zapatero, il est clairement affiché par les écolo-communistes
d'Izquierda Unida (IU, Gauche unie) et par Esquerra Republicana de Catalunya
(ERC, Gauche républicaine de Catalogne). Or, IU et ERC sont les deux
alliés parlementaires sans lesquels M. Zapatero ne gouvernerait peut-être
déjà plus. Le PSOE ne contrôle en effet qu'une majorité
relative des députés et il est minoritaire au Sénat.
En conséquence, le gouvernement socialiste tentera de reporter la
révision constitutionnelle à la fin de la législature
et d'inclure dans le référendum sur cette révision d'autres
questions, relatives notamment à l'organisation territoriale de l'Espagne,
afin que la consultation populaire ne tourne pas en un périlleux "oui"
ou "non" à la monarchie.
En codifiant une procédure de révision aussi lourde, les pères
de la Constitution postfranquiste de 1978 avaient voulu blinder la couronne.
Celle-ci a été rétablie en la personne de Juan Carlos
Ier en 1975, à la mort et selon le voeu du général-dictateur
Francisco Franco, qui avait écrasé la IIe République
lors de la guerre civile de 1936-1939. Peut-être par conviction, certainement
par nécessité, le roi Juan Carlos a choisi la démocratie.
Son opposition décisive à la tentative de coup d'Etat militaire
du 23 février 1981 a assis son prestige et sa popularité.
L'hérédité liée à l'institution monarchique
et donc le débat sur l'avenir de Leonor secouent les Espagnols partisans
de la raison républicaine sur laquelle repose, par exemple, la démocratie
française. "Nul ne sera discriminé pour raison de naissance"
proclament tant la Constitution espagnole que la Déclaration universelle
des droits de l'homme. Pourtant, comme le souligne en substance Gaspar Llamazares,
coordinateur général d'IU, l'hérédité
des privilèges de la famille royale prive tous les autres Espagnols
du droit de briguer la charge de Chef de l'Etat, théoriquement symbolique,
mais substantielle en pouvoir d'influence.
L'assaut à la raison et à l'intelligence, c'est aussi l'impossiblité,
en Espagne, d'allumer aujoud'hui et ces prochains jours la radio ou la télévision
sans être abreuvé d'éloges tiers-mondistes des qualités supposées des géniteurs de Leonor, le prince héritier Felipe et son épouse Letizia.
Des médias annoncent que Leonor sera baptisée avec de l'eau
du fleuve Jourdain recueillie au Moyen-Orient par le service diplomatique
espagnol. Le Jourdain irriguant des terres et mêlant les effluves d'Arabes
et d'Israéliens, ce baptême contribuera peut-être à
L'Alliance des civilisations souhaitée par José Luis Rodriguez
Zapatero...
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