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Nationalisation en Bolivie: "l'impérialiste" est le Brésil, non les Etats-Unis
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Evo Morales (à g.) et Hugo Chavez: alliance "bolivarienne" devant le portrait de Bolivar Archives - Photo Quisaira Guevara - Prensa Presidencial (Caracas) |
BRASILIA, mercredi 3 mai 2006 (LatinReporters.com) - Effervescence à
Brasilia. Sérénité à Washington. La nationalisation
des hydrocarbures en Bolivie, décrétée le 1er mai par
le président Evo Morales, icône amérindienne de la lutte
contre "l'impérialisme américain", n'a pas ému les Etats-Unis.
Par contre, le Brésil du président Lula, autre icône
de la gauche latino-américaine, est commotionné.
Petrobras, géant public brésilien des hydrocarbures, voit
ses installations en Bolivie militarisées comme celles des autres
multinationales. "Un geste inamical" estime le ministre brésilien
de l'Energie, Silas Rondeau, d'autant plus que Lula avait appuyé la
campagne qui déboucha, le 18 décembre dernier, sur l'élection
triomphale d'Evo Morales.
Comme l'hispano-argentine Repsol-YPF, la française Total, la britannique
British Gas ou encore, parmi d'autres, l'américaine Enron-Shell, Petrobras
a 180 jours pour signer de nouveaux contrats donnant la primauté aux
pouvoirs publics de la Bolivie, sous peine de ne plus pouvoir opérer
dans ce pays andin.
Premier investisseur étranger, à raison d'un milliard et demi
de dollars au cours de la dernière décennie, Petrobras contrôle
en Bolivie 47,3% des réserves de gaz naturel, les plus importantes d'Amérique
du Sud après celles du Venezuela.
Militarisées comme les champs d'hydrocarbures, les deux raffineries
que possède le colosse brésilien dans le pays d'Evo Morales
traitent en moyenne 40.000 barils de pétrole brut par jour, couvrant
ainsi 100% de la consommation bolivienne d'essence et de kérosène
(carburant pour avions), ainsi que 60% de la demande de gazole. Une centaine
des 400 stations-service boliviennes appartiennent à Petrobras.
La société publique brésilienne assure à la
Bolivie le quart de ses revenus fiscaux et 18% de son produit intérieur
brut. Plus de 50% du gaz naturel consommé au Brésil
vient de Bolivie, dans un gazoduc de 3.200 km géré lui aussi
par Petrobras.
Dans la foulée du géant brésilien, l'hispano-argentine
Repsol-YPF, dominée par des capitaux espagnols, a investi en Bolivie
un milliard d'euros et y contrôle 27,5% de la production de gaz. Aucune
autre multinationale n'y joue un rôle aussi stratégique que
celui de Petrobras et Repsol-YPF.
Autour de l'Altiplano, les "impérialistes" ne sont donc plus les Yankees,
mais des sociétés de pays socialistes (ou sociaux-démocrates)
tels que le Brésil et l'Espagne. Pourtant, à La Paz et dans d'autres capitales,
même européennes, quelques discours et commentaires saluent
la nationalisation comme une victoire sur "l'impérialisme
américain".
Premier pays européen à recevoir, en janvier dernier, Evo
Morales fraîchement élu, l'Espagne du socialiste José
Luis Rodriguez Zapatero (autre icône de l'antiaméricanisme depuis
le retrait militaire espagnol d'Irak) effaçait alors plus de 100 millions
de dollars de la dette bilatérale bolivienne. Aujourd'hui, le ministre
espagnol des Affaires extérieures, Miguel Angel Moratinos, prévient
le chargé d'affaires de l'ambassade de Bolivie que la nationalisation
non concertée des hydrocarbures risque d'avoir "des conséquences"
sur les relations entre les deux pays.
En Amérique du Sud, le président brésilien Luiz Inacio
Lula da Silva va se réunir avec ses homologues argentin, Nestor Kirchner,
vénézuélien, Hugo Chavez, et surtout bolivien, Evo Morales,
pour y débattre des problèmes énergétiques régionaux
après la nationalisation décrétée à La
Paz.
Hugo Chavez a révélé avoir téléphoné
à Lula et à l'Espagnol Zapatero pour les tranquilliser, leur
disant qu'Evo Morales "est un homme de dialogue" capable de concilier ses
intérêts nationaux avec ceux d'investisseurs bien intentionnés.
Il n'empêche qu'une fracture est désormais visible entre les
deux gauches latino-américaines, d'une part la "bolivarienne" d'Hugo
Chavez, Evo Morales et Fidel Castro et, d'autre part, la sociale-démocrate
qui croit au marché, incarnée de fait au Brésil par
Lula, en Uruguay par Tabaré Vazquez, au Chili par Michelle Bachelet
et avec des nuances en Argentine par Nestor Kirchner.
En outre, une lutte non déclarée pour le leadership latino-américain
oppose ou opposera nécessairement le vénézuélien
Hugo Chavez, appuyé sur l'idéologie et les pétrodollars,
au président du Brésil, Lula ou tout autre, ce pays aspirant
depuis des décennies à assumer le rôle continental auquel
le prédestine son ampleur géographique et démographique.
Fin mai ou début juin, le second tour de la présidentielle
au Pérou sera le premier véritable duel électoral entre
les deux gauches latino-américaines. Face au tenant de l'Internationale socialiste, le social-démocrate
et ex-président Alan Garcia, l'ex-militaire Ollanta Humala est soutenu
par Hugo Chavez et Evo Morales. Son éventuelle victoire déboucherait
probablement aussi sur une nationalisation de ressources énergétiques.
Le gaz péruvien de Camisea serait alors dans le collimateur et avec
lui à nouveau les Espagnols de Repsol-YPF, ainsi que les Américains
de Hunt Oil et les Franco-Belges de Suez-Tractebel.
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