|
Gaz, coca, politique extérieure
Bolivie - Evo Morales: bilan des changements annoncés
|
Evo Morales Photo Jeremy Bigwood |
par Christian Galloy
Analyste politique, directeur de LatinReporters.com
LA PAZ / MADRID, jeudi 22 décembre 2005 (LatinReporters.com) - De
multiples déclarations post-électorales du leader indien Evo
Morales, qui assumera la présidence de la Bolivie à partir du
22 janvier 2006, précisent la portée des principaux changements
qu'il avait annoncés, à savoir la nationalisation des hydrocarbures
(dont le gaz naturel), la légalisation de la coca et la lutte contre
"l'impérialisme nord-américain".
Evo Morales a remporté l'élection présidentielle du
18 décembre dès le premier tour avec une majorité absolue
de 54,14% (résultat provisoire incluant 94% des bureaux de vote),
contre 28,57% à son principal adversaire, l'ex-président Jorge
Quiroga (droite libérale). Sous réserve de précisions
ultérieures d'Evo Morales et de ses collaborateurs, la politique qui
sera suivie dans les trois domaines considérés peut actuellement
se résumer comme suit:
Nationalisation des hydrocarbures (en particulier du gaz naturel)
-Principe général: l'Etat sera propriétaire de toutes
les ressources naturelles, y compris à la bouche du puits, et en contrôlera
la production et la commercialisation.
-Cette propriété est en principe déjà établie
par une loi de mai 2005 (découlant du
référendum de
juillet 2004), mais Evo Morales estime que des clauses de contrats avec les
multinationales ne respectent pas ce droit de propriété de
l'Etat à la bouche du puits. Les contrats seraient en conséquence
"nuls de plein droit". Autre cause de nullité invoquée par
Evo Morales: "les contrats n'ont pas été ratifiés par
le Congrès" (Parlement).
-Tous les contrats avec les multinationales seront donc révisés.
Vingt-six multinationales exploitent le gaz naturel bolivien, dont les réserves
sont les plus importantes d'Amérique du Sud après celles du
Venezuela. Les sociétés qui ont le plus investi sont la brésilienne
Petrobras et l'hispano-argentine Repsol-YPF. La française Total, l'américaine
Exxon Mobil et British Gas sont également présentes. Le Brésil
et l'Argentine, en déficit
énergétique, sont les principaux acheteurs du gaz bolivien.
-Argument complémentaire d'Evo Morales pour justifier la révision
des contrats: ils ont été signés lorsque le baril de
pétrole brut, dont le prix influence celui du gaz, valait 18 ou 19
dollars, alors que le baril est aujourd'hui à plus de 60 dollars.
Le gaz bolivien sera donc vendu plus cher.
-Les nouveaux contrats seront "équilibrés" indique Evo Morales.
Les multinationales seront rétribuées pour leurs services (exploration,
extraction). Elles auront un statut "d'associé, non de propriétaire
ni de patron". Leurs biens ne seront ni expropriés ni confisqués.
Récupération de l'investissement et bénéfices
raisonnables seront garantis, mais l'Etat contrôlera la production
et la commercialisation.
Légalisation des plantations de coca
|
Bolivie - Feuilles de coca Photo Jeremy Bigwood |
-Principe général: coca ne signifie pas cocaïne. La Bolivie
respectera l'usage traditionnel de la feuille de coca et cherchera à
promouvoir de nouvelles utilisations et formes de commercialisation légales.
L'élaboration de cocaïne (extraite de la feuille de coca) et
le trafic de drogue seront combattus.
-Evo Morales rappelle que les plantations de coca sont déjà
légales en Bolivie, sur une
superficie [12.000 hectares; ndlr] calculée
théoriquement pour couvrir l'utilisation traditionnelle de la feuille
de coca, qui a des propriétés médicinales et alimentaires.
Le problème est que le total des plantations est évalué
aujourd'hui à quelque 28.000 hectares. Plus de la moitié de
la production bolivienne de feuilles de coca serait donc illégale.
Selon les adversaires d'Evo Morales, dont les Etats-Unis, elle serait déviée
vers l'élaboration de cocaïne.
-Arrêt de la politique de destruction des plantations excédentaires,
dont dépend la survie de milliers de paysans. "Zéro coca signifierait
zéro cocaleros, zéro Quechuas et zéro Aymaras" explique
Evo Morales. [Quechuas et Aymaras sont les ethnies amérindiennes dominantes
en Bolivie; ndlr]. Il ajoute: "On ne peut pas dépénaliser le
coca-cola et pénaliser la feuille de coca".
-Le prochain gouvernement "étudiera le marché légal
de la feuille de coca" et cherchera à le développer. Il définira
"avec les paysans l'étendue des zones de cultures". Un référendum
sur cette question n'est pas exclu.
-Evo Morales propose aux Etats-Unis de lutter ensemble, sans ingérence
intérieure (et surtout pas d'ingérence militaire), en faveur
d'un "zéro cocaïne et zéro trafic de drogue". Mais pour
aboutir à "zéro cocaïne", il faut aussi un "marché
zéro". "Tant qu'il y aura un marché pour la cocaïne, des
feuilles de coca seront déviées vers ce marché, aussi
rationalisées puissent être les plantations" précise
Evo Morales. Les Etats-Unis, premier consommateur mondial de cocaïne,
sont ainsi invités à assumer leurs responsabilités.
Relations extérieures. Lutte contre "l'impérialisme nord-américain"
-Principe général: "ni soumission ni subordination" de la Bolivie.
Sur cette base, Evo Morales souhaite un dialogue avec les Etats-Unis. (La
secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, a estimé
en substance que Washington jugerait sur pièces la nouvelle politique
bolivienne).
-Coordination probable de la politique extérieure de la Bolivie avec
celle de Cuba et du
Venezuela, adversaires notoires des
Etats-Unis, mais attention prioritaire aux intérêts de la Bolivie. A la double
question "Chaviste? Castriste?", Evo Morales répond: "Je suis katariste
[Tupac-Katari, chef amérindien, fut écartelé au 18e
siècle par les Espagnols; ndlr] ...et je suis Evo". "Mais j'apprécie,
poursuit-il, que le Venezuela, comme Cuba avant lui, ait vaincu l'analphabétisme".
Evo Morales dit "admirer" le président vénézuélien
Hugo Chavez, qui "lutte avec son
peuple pour la dignité, la souveraineté et les ressources naturelles".
-Rejet du néo-libéralisme économique. Evo Morales se
prononce contre un éventuel traité de libre-échange
avec les Etats-Unis, déjà conclu par Washington avec le
Chili,
que devraient imiter d'autres pays andins (Colombie,
Equateur et
Pérou).
Ce type de traité "ferme les coopératives et les micro-entreprises...
Nous avons besoin d'un commerce de peuple à peuple pour résoudre
les problèmes économiques sans concentrer le capital dans quelques
mains" dit Evo Morales.
-Refus de toute présence militaire américaine, y compris celle
que Washington justifierait par la lutte contre le narcotrafic. Pour "freiner
la superbe de l'empire [nord-américain]" et son interventionnisme,
"l'Amérique latine a besoin d'une alliance avec l'Europe" estime Evo
Morales.
-Au nom des droits de l'homme, Evo Morales sollicitera des Etats-Unis l'extradition
de l'ex-président Gonzalo Sanchez de
Lozada pour qu'il soit jugé par les tribunaux boliviens. Ce conservateur pro-américain,
réfugié à Miami, fut chassé de la présidence de la Bolivie lors de la "guerre du gaz", qui fit en 2003 des dizaines de morts parmi les
manifestants opposés au projet d'exportation de gaz vers l'Amérique
du Nord via un port chilien.
-Persistance de la tension avec le Chili. "Pas de gaz [bolivien pour le Chili]
ni de relations diplomatiques sans accès de la Bolivie à la
mer" avertit Evo Morales. (Lors de la Guerre du Pacifique, conclue en 1883,
le Chili, "ennemi historique", s'est approprié la façade maritime
de la Bolivie, qui revendique sa restitution au moins partielle. Hugo Chavez
soutient la revendication territoriale bolivienne.)
Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
ARTICLES ET DOSSIERS LIÉS
Bolivie - Evo Morales président: réactions en Amérique latine et en Espagne
Amérindien et anti-impérialiste, Evo Morales favori de la présidentielle
Dossier Bolivie
|
|