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Le choc des pouvoirs s'accentue dans un pays divisé
Bolivie: Santa Cruz plébiscite une autonomie qu'Evo Morales juge illégale
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"Santa Cruz frappe Evo [Morales], qui ne l'admet pas" titre le 5 mai 2008 le quotidien bolivien Los Tiempos. Il évalue à 85,4% le oui à l'autonomie. |
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SANTA CRUZ, lundi 5 mai 2008 (LatinReporters.com) -
Le statut d'autonomie du département de Santa Cruz, poumon économique
de la Bolivie, a été plébiscité dimanche 4 mai
par plus de 80% des votants selon Ruben Costas, préfet élu
de cette riche région orientale. A La Paz, le président bolivien
Evo Morales conteste ce résultat d'un référendum qu'il
juge "illégal et séparatiste". Trois autres des neuf départements
boliviens préparent à leur tour pour juin un référendum
autonomiste.
Après dépouillement de 35% des bulletins de vote, l'autorité
électorale départementale situait lundi à 84% le oui
à l'autonomie, avec une participation de 65%. Plus
de 935.000 électeurs étaient inscrits. Plusieurs sondages effectués
à la sortie des urnes pour le compte de médias annonçaient
déjà des résultats similaires. La Cour nationale électorale
se refuse, elle, à avaliser le scrutin.
Dimanche, dans un message à la nation, le président Evo Morales,
Amérindien de gauche soutenu par son homologue vénézuélien
Hugo Chavez, annonçait pour sa part "l'échec" du référendum
"anticonstitutionnel". Additionnant les non, les votes blancs et l'abstention, le chef de l'Etat en
déduit que les autorités de Santa Cruz "trompent le peuple" en parlant de victoire.
Jorge Quiroga, ex-président et leader du parti d'opposition Podemos,
réplique que "si le président [Morales] veut se mettre à calculer
les votes en fonction des électeurs inscrits, nous allons découvrir
qu'il n'a pas obtenu 54%, mais seulement 40%" [lors de l'élection
présidentielle de décembre 2005].
Evo Morales a néanmoins invité les neuf préfets du pays,
en fait des gouverneurs élus au suffrage universel, à dialoguer
"dès demain" sur une "véritable" autonomie en faveur "des peuples
et non des groupes" de pression économiques. Selon le président
bolivien, le référendum de Santa Cruz "a divisé le département
et conduit les familles à s'affronter".
Des heurts violents ont fait un mort (non confirmé) et au moins 35
blessés dans diverses enclaves soutenant le président Morales.
Les affrontements les plus graves se sont produits
à Plan 3000, banlieue pauvre de la capitale départementale,
Santa Cruz de la Sierra, où vit une forte communauté indigène.
Des urnes et des bulletins de vote y ont été brûlés.
Un homme de 68 ans est mort sans que l'on sache avec certitude s'il a été
victime ou non de tirs de gaz lacrymogène.
Malgré les incidents, une multitude agitant les drapeaux régionaux
verts et blancs a célébré dimanche soir dans les rues
de Santa Cruz de la Sierra le triomphe présumé de l'autonomie.
"Le gouvernement ne pourra pas ignorer ce résultat" a déclaré
Branco Marinkovic, président du Comité civique qui rassemble
les forces centrifuges. En Argentine, second client du gaz bolivien après
le Brésil, les éditorialistes des principaux quotidiens estiment
aussi qu'Evo Morales devra négocier avec les régionalistes.
S'adressant à la foule en liesse, le préfet Ruben Costas a
affirmé que la victoire des autonomistes ouvre le chemin d'une "nouvelle
République" qui ferait de la Bolivie "l'Etat le plus décentralisé
de l'Amérique latine". Démentant toute visée séparatiste,
il a appelé à la négociation d'un "grand accord national"
qui garantirait tant l'autonomie régionale que "le respect des intérêts
supérieurs de la République".
Alors qu'Evo Morales accuse les partisans de l'autonomie de servir les intérêts
de groupes économiques et de multinationales, Ruben Costas s'est revendiqué
d'un "socialisme démocratique". Selon lui, les autonomies régionales
devraient avoir pour priorité la diminution des injustices sociales
et de la pauvreté, principal ennemi de la Bolivie.
Les observateurs notent que ce discours populiste rappelle celui des socialistes
espagnols en faveur d'une "Espagne plurielle". L'autonomie régionale
de la Catalogne est souvent citée à Santa Cruz comme un exemple
à suivre.
Ouest andin des autochtones défavorisés contre l'Est
privilégié des blancs et métis
Cette démarche n'en est pas moins très conflictuelle lorsque,
dans le pays le plus pauvre d'Amérique du Sud qu'est la Bolivie, les
aspirations à l'autonomie régionale pour gérer ses propres ressources se
développent dans les départements de l'Est, qui concentrent l'essentiel des richesses
agricoles et industrielles, ainsi que la quasi totalité des gisements
d'hydrocarbures.
L'Est bolivien est dominé par l'opposition conservatrice, hostile
au projet de nouvelle Constitution socialiste et indigéniste que les
partisans d'Evo Morales ont eu l'imprudence d'approuver sans respecter l'actuelle
obligation constitutionnelle d'une majorité parlementaire des deux
tiers pour amender ou refondre la Charte fondamentale. De véritables
commandos d'inconditionnels du président Morales ont même parfois
empêché les élus de l'opposition d'accéder aux
réunions de l'Assemblée constituante. Ce procédé
musclé a aussi été utilisé à diverses
reprises au Parlement de La Paz, où le parti gouvernemental MAS (Mouvement
vers le socialisme) est minoritaire au Sénat. En conséquence,
si le président Morales estime "illégale" l'autonomie régionale,
les adversaires du chef de l'Etat qualifient de tout aussi illégale
sa nouvelle Constitution. Celle-ci doit encore être soumise à
référendum à une date indéterminée.
L'Orient bolivien conservateur et privilégié comptant une majorité
de métis et de blancs, alors que dans l'Ouest andin défavorisé
dominent les populations originaires aymara et quechua, le risque de fracture
lié à l'autonomie contestée par le président
Evo Morales est à la fois économique et ethnique. De nombreux
observateurs jugent ces ingrédients explosifs. Dans de récents
articles publiés par le quotidien officiel cubain Granma, Fidel Castro
croit inévitable une tragédie en Bolivie. Au Venezuela, Hugo
Chavez a plusieurs fois insinué qu'il soutiendrait militairement son
allié Evo Morales s'il était la cible d'un "complot impérialiste",
hypothèse à laquelle il assimile une partition de la Bolivie.
Avec ses 370.621 km², le tiers de la superficie nationale, Santa Cruz
est le plus vaste des neuf départements boliviens. Industrie, mines
(fer, manganèse), élevage, production agricole (la moitié
de celle du pays) et hydrocarbures (moins abondants que dans le département
proche de Tajira) assurent la richesse de Santa Cruz. Selon le préfet
Ruben Costas, la région fournit à la Bolivie "plus de la moitié"
de ses ressources fiscales. Les 2,4 millions d'habitants du département,
le quart de la population bolivienne, jouissent du plus haut indice national
de développement humain.
Les départements de Pando, Beni et Tarija ayant eux aussi convoqué
pour juin un référendum sur leur propre statut d'autonomie,
la fièvre régionaliste couvre la totalité de l'est de
la Bolivie, littéralement coupée en deux entre centralistes
et régionalistes. Ces derniers, compte tenu du département
de Tarija, ont sous la main 90% des hydrocarbures nationaux, surtout le gaz
naturel. Les réserves boliviennes de gaz ne sont surpassées
en Amérique du Sud que par celles du Venezuela.
Les départements centraux de Cochabamba et de Chuquisaca appuient
également l'autonomie régionale, mais n'ont pas convoqué
de référendum autonomiste. A peine trois des neuf départements
boliviens -les andins de Potosi, Oruro et La Paz- appuient le centralisme
du président Evo Morales. Les préfets des départements
étant issus, comme le chef de l'Etat, d'élections démocratiques,
le choc des pouvoirs et des légitimités est servi en Bolivie.
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