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Colombie: réélection du président
Uribe et progrès de la gauche discréditent la guérilla
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Alvaro Uribe: président jusqu'en 2010 Photo José Barrera | |
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Carlos Gaviria, "papa Noël" de la nouvelle gauche avec 22% des voix Photo carlosgaviria2006.org | |
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BOGOTA, lundi 29 mai 2006 (LatinReporters.com) - On attendait
sa victoire, mais non pareil triomphe: 62,2% des voix dès le premier
tour de l'élection présidentielle du dimanche 28 mai. Au pouvoir
depuis 2002, le conservateur Alvaro Uribe reste donc président de
la Colombie jusqu'en 2010. Tant sa réélection que l'essor d'une
nouvelle gauche hostile à la violence armée discréditent
la guérilla marxiste des FARC.
Dans une Amérique du Sud qui n'en finit pas de glisser à gauche,
collée en outre sur 2.219 km de frontière commune au Venezuela
"bolivarien" du président Hugo Chavez, la Colombie affiche une surprenante
spécificité basée notamment sur l'option libre-échangiste
et l'alliance militaire et commerciale avec les Etats-Unis.
Même si Hugo Chavez, dont les relations avec Alvaro Uribe sont cordiales,
s'est gardé d'intervenir dans la campagne électorale colombienne
-alors qu'il épaule ostensiblement des
candidats dans les prochaines présidentielles du Pérou, du Mexique,
d'Equateur et du Nicaragua- l'ampleur du triomphe uribiste dans une Colombie
forte de 42 millions d'habitants est un revers pour l'axe "bolivarien" formé
par le Venezuela, Cuba et la Bolivie.
La réélection d'Alvaro Uribe, austère avocat de 53
ans, pourrait influer directement sur le second tour, le 4 juin, de l'élection
présidentielle péruvienne en réduisant les chances de
succès de l'ex-militaire putschiste Ollanta Humala, soutenu publiquement
par le président vénézuélien.
Etre réélu à la présidence est rarissime en
Amérique latine. Souvent, il est vrai, par empêchement constitutionnel.
L'être au premier tour relève de l'exploit. Et récolter
en outre 62,2% des suffrages, soit près de 7.400.000 voix (contre
53,04% des suffrages et 5.862.655 voix en 2002) confine au surnaturel.
Les observateurs de l'Organisation des Etats américains (OEA) confirment
"la transparence et la régularité" du scrutin. Leur aval est
plus rapide et plus net que celui qu'ils octroyèrent au référendum
du 15 août 2004 sur la continuité du président vénézuélien
Hugo Chavez.
La faible participation de 45,11% des électeurs restera l'argument
principal des adversaires d'Alvaro Uribe. Mais la forte abstention est une
constante dans une Colombie à la fois montagneuse et amazonienne, grande
comme deux fois la France, et où surtout exprimer son opinion, fût-ce
sous le prétendu secret du vote, peut avoir des conséquences
fatales face à la guérilla marxiste ou aux pistoleros paramilitaires
d'extrême droite. A titre d'exemple, la participation aux élections
présidentielles de 2002, 1998, 1994 et 1990 fut, respectivement, de
46,47%, 51,55%, 34,2% et 43,5%.
Dès l'annonce de sa réélection, Alvaro Uribe a promis
de poursuivre sa "politique de sécurité démocratique
contre le terrorisme" qui explique sa popularité. Depuis 2002, il fait
reculer, sans la vaincre, la vieille guérilla marxiste des FARC (Forces
armées révolutionnaires de Colombie, 17.000 combattants). Celle
moins puissante de l'ELN (Armée de libération nationale, guévariste)
penche pour la négociation avec le président Uribe.
Ce dernier a aussi fortement réduit la délinquance. Il estime
que sa politique de sécurité attire les investissements et expliquerait
les progrès économiques de la Colombie, dont le PIB a bondi
de 5% en 2005 et de 4% en 2004. Le pays compte néanmoins encore 49% de pauvres et 20%
des Colombiens, les plus fortunés, contrôlent les deux tiers
de la richesse nationale.
Alvaro Uribe confirmait également dès dimanche soir sa volonté
de soutenir la ratification par le Congrès colombien du Traité
de Libre Commerce signé en février avec les Etats-Unis. Par
contre, le président n'a annoncé aucune initiative nouvelle
quant à une éventuelle négociation avec les FARC.
Il n'est pas revenu davantage sur la réinsertion polémique, via
la loi "Justice et paix", de 30.000 paramilitaires démobilisés.
Les organisations humanitaires critiquent la mansuétude officielle
à l'égard de leurs crimes. Alvaro Uribe est toutefois parvenu à convaincre
la plupart des gouvernements européens, dont l'exécutif du socialiste
espagnol José Luis Rodriguez Zapatero, que la guérilla pourrait
profiter, si elle le souhaitait, des mêmes critères de réinsertion.
La nouvelle gauche du Pôle Démocratique
Loin derrière Alvaro Uribe et sa coalition Primero Colombia de partis
conservateurs, l'ex-président de la respectée Cour constitutionnelle,
Carlos Gaviria, 69 ans, se classe deuxième de la présidentielle
avec 22,04% des voix sous la bannière du Pôle Démocratique
Alternatif (PDA). Cette nouvelle gauche radicale quoique non révolutionnaire,
hostile à l'interventionnisme politique, militaire et commercial des
Etats-Unis, mais aussi à la violence armée de la guérilla,
avait remporté une victoire significative en octobre 2003, lorsque
le syndicaliste Luis Eduardo Garzon, surnommé "Lucho" et parfois qualifié
de "Lula colombien", fut élu maire de Bogota.
Candidat à la présidentielle de 2002, Garzon fut à
l'époque 3e au premier tour avec 6,15% des suffrages. Le score de
la nouvelle gauche a donc plus que triplé sous la houlette de Carlos Gaviria.
Ce "Papa Noël" progressiste -surnom affectueux dû à sa
physionomie- fut le professeur de droit d'Alvaro Uribe à l'Université
d'Antioquia. Il a rapidement admis, dimanche, "le triomphe du président
Uribe".
Conduit pour la troisième fois à l'échec par Horacio
Serpa, en 3e place de la présidentielle avec 11,84% (contre 31,80%
au premier tour de la présidentielle de 2002), l'historique Parti Libéral,
membre de l'Internationale socialiste, devient marginal. Le Parti Conservateur,
autre acteur politique historique, étant désormais englobé
par la coalition présidentielle Primero Colombia, le bipartisme libéral-conservateur
qui avait dominé la Colombie pendant plus d'un siècle a désormais
vécu.
En 2003, après son élection à la mairie de Bogota,
Lucho Garzon déclarait "Je ne crois ni à l'insurrection ni
à la conquête du pouvoir par les armes. J'espère que
la guérilla comprendra la nécessité de trouver des alternatives
démocratiques". Le triplement, dimanche, des voix de la nouvelle gauche
conforte ce discours qui discréditait déjà la violence
armée des guérilleros des FARC .
Malgré le précédent dramatique de l'Union Patriotique,
parti légal créé par les FARC dans les années
1980 et dont quelque trois mille militants furent assassinés, le score
du Pôle Démocratique montre qu'à moyen terme la conquête
pacifique du pouvoir par la gauche pourrait être possible en Colombie
comme elle l'a été récemment dans la majorité
des pays d'Amérique du Sud.
Dans cette optique, samedi dans les colonnes du quotidien madrilène
El Pais, Carlos Gaviria reprochait à la guérilla ses "actes
terroristes qui méritent une lourde sanction pénale". Pour
tenter de résoudre le conflit intérieur qui a fait plus de
200.000 morts et déplacé près de quatre millions de
Colombiens depuis 1964, le candidat du Pôle Démocratique estimait
néanmoins nécessaire de "reconnaître l'existence de ce
conflit [NDLR; le président Uribe ne parle que de "terrorisme"] afin
que le droit humanitaire international soit respecté en Colombie...
Et [reconnaître] en même temps qu'il s'agit [à propos de la guérilla]
d'une force insurgée que l'on peut convoquer en tant que telle à
un dialogue sous la médiation de la communauté internationale".
Sans prononcer le nom de la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt, otage
des FARC depuis le 23 février 2002, Carlos Gaviria propose de "créer
une ambiance propice au dialogue [avec la guérilla]... Il faut, par
la voie d'un accord humanitaire, faire des efforts pour obtenir la liberté
des séquestrés".
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