|
Pas de messie de rechange et respect de la souveraineté des Cubains
Cuba - Crépuscule de Fidel Castro: analyse de réactions significatives
|
"Métro-bus" à La Havane - Un destin collectif très encadré assure-t-il le bonheur? Photo Ariel Delgado |
par Christian Galloy
Analyste politique Directeur de LatinReporters.com
LA HAVANE / MADRID, mardi 8 août 2006 (LatinReporters.com)
- Pas de messie charismatique de rechange et dans le cas, incertain, de l'ouverture
d'une transition démocratique, respect de la souveraineté des
Cubains vivant dans l'île. Cette double probabilité découle
de réactions à la cession "temporaire" du pouvoir annoncée
le 31 juillet par une proclamation
attribuée à Fidel Castro, invisible et hospitalisé.
Même le président des Etats-Unis, George W. Bush, tempère
son radicalisme et celui des exilés cubains de Miami en attribuant
en priorité aux Cubains de l'intérieur le droit de décider
de l'avenir de leur pays.
"Nous voulons que ce soit clair: si Cuba
a la possibilité de se transformer
en une société distincte de la situation tyrannique actuelle,
cela ne peut correspondre qu'à la décision des Cubains... Lorsque
les Cubains auront décidé de leur forme de gouvernement, alors
les Cubano-Américains pourront montrer leur intérêt et
réclamer leurs propriétés" déclarait le 7 août
le président Bush dans son ranch de Crawford (Texas). Auparavant,
la secrétaire d'Etat américaine,
Condoleezza Rice, avait estimé "rocambolesque l'idée d'une
invasion de Cuba par les Etats-Unis".
Hypocrisie après d'autres déclarations polémiques?
Peut-être. Mais peut-être aussi lueur de raison d'inspiration...
divine. Dimanche 6 août, l'archevêque de La Havane, Mgr Jaime
Ortega, avertissait que l'Eglise cubaine "ne soutiendra jamais ni même
n'acceptera tant soit peu une quelconque intervention étrangère".
Le prélat venait de célébrer une messe "pour que Dieu
accompagne le président Fidel Castro dans sa maladie et qu'il éclaire
ceux qui ont provisoirement reçu les responsabilités du gouvernement".
La fin de cette dernière phrase ressemble à un appel au changement
pacifique à Cuba, conformément au discours modéré
tenu par un dissident dont la taille morale ne cesse de s'amplifier,
Oswaldo
Paya, dirigeant du Mouvement chrétien de libération.
Si dans la Pologne des années 1980 l'alliance entre le pape Jean-Paul
II et le syndicat Solidarnosc de Lech Walesa ouvrit dans le rideau de fer
une fissure bientôt fatale à l'empire soviétique, Oswaldo
Paya et l'Eglise cubaine pourraient, ensemble, influer de façon décisive
sur l'avenir de Cuba.
25.404 signataires du projet de démocratisation d'Oswaldo Paya
Oswaldo Paya n'est pas syndicaliste dans une île où d'ailleurs
le droit de grève n'existe pas, mais au moins 25.000 Cubains l'accompagnent,
sans cacher leur nom, ce qui est extraordinaire sous un régime
à parti unique communiste.
A deux reprises, en 2002 et 2003, Oswaldo Paya a remis au Parlement cubain
une pétition avalisée au total par 25.404 signataires réclamant
des réformes qui déboucheraient sur des élections libres,
selon un processus baptisé
Projet Varela (du nom d'un prêtre
qui s'illustra au 19e siècle dans la lutte pour l'indépendance
de Cuba). La Constitution cubaine admet en principe le référendum
d'initiative populaire lorsqu'il est proposé par plus de 10.000 citoyens,
mais les pétitions déposées par Oswaldo Paya ont été
ignorées par le pouvoir castriste.
Oswaldo Paya fut épargné par la
répression de mars et
avril 2003 contre 75 journalistes, écrivains, défenseurs des droits
de l'homme et opposants, condamnés à des peines comprises entre
6 et 28 ans de prison. La plupart appartiennent au Mouvement chrétien
de libération. Cette clémence non sollicitée, Oswaldo
Paya la doit à son auréole internationale. Le 23 octobre 2002,
le Parlement européen lui décernait le Prix Sakharov des droits
de l'homme et de la liberté de pensée.
Lors de ces derniers jours marqués par l'effacement de Fidel
Castro, Oswaldo Paya a notamment déclaré que "les Etats-Unis
doivent prendre conscience que le rôle de protagoniste dans le changement
[à Cuba] ne leur correspond pas... Ils doivent attendre que le peuple
de Cuba sollicite l'aide qu'il estime nécessaire". Oswaldo Paya croit
qu'en "ce moment, le message doit être de tranquillité et de
non intervention. Ces jours-ci sont importants et graves pour Cuba. Le plus
important est que règne la paix, car le danger de répression
[gouvernementale] existe et une répression provoquerait la confrontation
et un processus dont personne ne sait comment il se terminerait".
Quant au régime castriste, sa réaction la plus significative
à l'incapacité actuelle de Fidel Castro est sans doute la republication
intensive, dans les médias officiels (les seuls autorisés),
du discours prononcé le 14 juin 2006 par le ministre des Forces armées
révolutionnaires, Raul Castro, frère du lider maximo et principal
héritier "temporaire", aux côtés de six autres personnalités
du gouvernement et du Parti communiste de Cuba (PCC), des fonctions que Fidel
Castro a déléguées pour la première fois en 47
ans de pouvoir.
La phrase essentielle de ce discours, imprimée en lettres capitales
dans le quotidien Granma, organe du comité central du PCC, affirme
que "seul le parti communiste, en tant qu'institution regroupant l'avant-garde
révolutionnaire et garantie sûre de l'unité des Cubains
de tous temps, peut être le digne héritier de la confiance déposée
par le peuple dans son avenir". Cette voie de succession institutionnelle
fut ratifiée le 1er juillet par le Ve Plénum du Comité
central du PCC. Même les castristes ne misent donc pas sur un nouveau
messie providentiel.
Suffit-il aujourd'hui qu'une dictature soit antiaméricaine pour que des démocrates
présumés l'applaudissent?
Parmi d'autres réactions, celle de la Commission européenne,
souhaitant que "le président Fidel Castro et la démocratie
cubaine aient un rétablissement rapide", est aussi courte qu'équilibrée.
L'équilibre est par contre absent d'une pétition signée
par 400 personnalités -dont huit prix Nobel- ou acteurs de la vie
culturelle et sociale de 35 pays. Intitulée "La souveraineté
de Cuba doit être respectée", la pétition évoque
à juste titre le précédent inquiétant de l'invasion
de l'Irak pour redouter les risques d'une agression américaine contre
Cuba, mais elle oublie totalement de tendre la main au pluralisme sur l'île.
Parmi ceux de ces 400 signataires qui avaient alors l'âge de
raison, combien ont-ils condamné l'invasion soviétique de la Tchécoslovaquie
(1968), l'invasion soviétique encore de l'Afghanistan (1979) ou le
massacre d'étudiants chinois sur la place Tiananmen (1989), trois
agressions massives et meurtrières contre les droits de l'homme justifiées
à l'époque par Fidel Castro? Suffit-il aujourd'hui qu'une dictature soit
antiaméricaine pour que des démocrates présumés l'applaudissent?
Enfin, pour renvoyer l'habituelle tarte à la crème jetée
à la figure de ceux qui doutent du castrisme, à savoir le niveau
de l'éducation et de la médecine toutes deux gratuites à
Cuba, disons que vivre avec la bonne santé plus que suffisante pour
crier "Viva la Revolucion!" et avoir été alphabétisé
pour n'avoir ensuite accès qu'à une culture et des médias
officiels, pareil cocktail ne garantit pas nécessairement l'ivresse
du bonheur.
Hasard ou non, Cuba détient le record de suicides en Amérique
latine, comme l'indiquent un rapport de l'Organisation mondiale de la Santé
couvrant les années 1963 à 1996 et un autre de l'Organisation
panaméricaine de la santé pour la période 2000-2005.
Au cours de ces cinq années, en moyenne 18,1 suicides annuels pour 100.000 habitants
ont été enregistrés à Cuba, loin devant les 15,9
du second, l'Uruguay, et à des
années-lumière du taux de suicide de pays pourtant aussi peu privilégiés
que le Pérou (2,3) et le
Guatemala (1,9).
version imprimable
Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
ARTICLES ET DOSSIERS LIÉS
Affiches anti-Castro à Santiago de Cuba
Fidel Castro: "Ma santé, un secret d'Etat" - message nº2 (intégral avec traduction)
Fidel Castro cède le pouvoir: message nº1 (intégral avec traduction)
Cuba - Après Castro, quoi? Opéré, il "délègue" le pouvoir "provisoirement"
Dossier Cuba
|
|