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Espagne - Le socialiste Patxi Lopez préside le Pays basque: déclin des nationalismes historiques?
Par Christian GALLOY, directeur de LatinReporters
MADRID, mercredi 6 mai 2009 (LatinReporters.com) - Et de trois!... Après
la Catalogne, présidée par un socialiste, et la Galice, aux
mains du Parti populaire (PP - droite), le Pays basque est à son tour
régi par un non nationaliste, le socialiste Patxi Lopez, élu
lehendakari (président de l'exécutif basque) le 5 mai par le Parlement régional.
Des "espagnolistes" gouvernent donc désormais les trois régions
d'Espagne abritant des nationalismes dits historiques. Sont-ils en
déclin réel ou seulement apparent?
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Tous les journaux espagnols publiaient à la
une le 6 mai 2009 la photo du nouveau lehendakari (président de l'exécutif basque),
le socialiste Patxi Lopez (à droite), et de son prédécesseur,
le nationaliste Juan José Ibarretxe (à gauche), qui a annoncé
son abandon de la politique. |
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Avec ses 2,1 millions d'habitants parmi les 46 millions que compte aujourd'hui
l'Espagne, le Pays basque est démographiquement la plus insignifiante
des trois régions nationalistes. Mais elle est médiatiquement
la première, et de loin, grâce ou plutôt à cause
du terrorisme des indépendantistes armés de l'ETA. Leur médiatisation
permanente contribue à leur survie et influence.
A la tête des institutions régionales basques depuis 1980, année
des premières élections au Parlement régional, le vieux
Parti nationaliste basque (PNV - centre droit), dont l'ETA est depuis 1959
une dissidence d'inspiration marxiste-léniniste, a été
éjecté du pouvoir à la suite des
élections basques
du 1er mars dernier. Les socialistes et le PP, qualifiés
d'"espagnolistes" car le siège central de leur parti est à
Madrid, y obtenaient alors une majorité absolue de 38 députés
régionaux sur 75. Leur pacte, le
premier du genre entre droite et gauche en Espagne,
a débouché sur le déboulonnage du PNV et de son candidat
à la réélection, le lehendakari sortant Juan José
Ibarretxe.
"Patxi Lopez premier président non nationaliste" du Pays basque titraient
ce 6 mai une multitude de médias espagnols et étrangers. Erreur,
car un autre socialiste, Ramon Rubial, fut lehendakari en 1978 et 1979. L'Espagne
postfranquiste installait alors ses "préautonomies" régionales.
Le Parlement basque n'existait pas encore. Rubial fut investi lehendakari
par la majorité des sénateurs et députés basques
élus en 1977 aux Cortes, le Parlement espagnol.
Les priorités régionales annoncées en 1978 par Ramon
Rubial étaient la lutte contre le terrorisme de l'ETA et la réduction
du chômage. Trente et un ans plus tard, elles sont aussi celles de Patxi
Lopez, qui en a ajouté une troisième: l'égalité
de tous les citoyens, distordue en faveur des nationalistes par trois décennies
de pouvoir du PNV.
Face à l'ETA, qu'il combattra "jour après jour", Patxi Lopez
a déclaré le 5 mai dans son discours de candidature qu'il recherchera
la paix "avec générosité", mais sans payer un "prix
politique". Le nouveau lehendakari fut une pièce clef des pourparlers frustrés menés en 2006 et 2007
avec l'ETA par le gouvernement socialiste espagnol de José Luis Rodriguez Zapatero.
Des comptes rendus de ces négociations diffusés par des médias
proches de l'ETA indiquent que Madrid fut alors à deux pas de faire
aux séparatistes une concession politique de taille: l'ouverture d'un
processus qui ferait de la Navarre une partie intégrante du Pays basque.
Contre le chômage, Patxi Lopez va recourir à l'endettement public
pour relancer l'économie régionale. Quant à l'égalité
des citoyens, il abrogera notamment les décrets qui marginalisent
la langue espagnole dans les écoles basques, il rétablira
le pluralisme dans les médias publics régionaux transformés
par le PNV en instruments souverainistes et il éliminera des espaces
publics tous les symboles pro-ETA qui traumatisent les non nationalistes.
Le porte-parole du PNV au Parlement basque, Joseba Egibar, a accusé
Patxi Lopez de vouloir "promener la tête des Basques dans les arènes
[madrilènes] de Las Ventas". L'accord entre socialistes et conservateurs
du PP qui a abouti à l'avènement de Patxi Lopez est "une tentative
sérieuse d'annuler notre propre identité nationale" a estimé
pour sa part le lehendakari sortant, Juan José Ibarretxe. Il abandonnera
la politique après avoir tenté de faire du Pays basque un associé,
mais non plus un sujet, de l'Espagne et de l'Europe.
Une redoutable charge de fond lancée par M. Ibarretxe et son PNV contre
Patxi Lopez est le reproche de n'avoir pour lui que la légalité,
mais non la légitimité. Le PNV rappelle à cet égard
qu'il fut le vainqueur des élections basques du 1er mars avec 38%
des suffrages, contre 30% aux socialistes. Il ajoute avec raison qu'en additionnant
nationalistes modérés et indépendantistes radicaux,
le Pays basque est toujours dominé par une majorité sociale
"abertzale" (patriote) et que seule la mise hors la loi de partis proches
de l'ETA permet aux "espagnolistes" de dominer aujourd'hui le Parlement basque.
Etat oppresseur ou défaillant
Avant même l'investiture de Patxi Lopez, l'ETA avait menacé
de mort les membres du gouvernement régional qu'il formera. En outre,
Patxi Lopez affrontera dès le 21 mai une grève générale
décrétée au Pays basque par les syndicats nationalistes
et indépendantistes. Le coup de tonnerre de l'élection
d'un président "espagnoliste" rapprochera-t-il souverainistes modérés
et séparatistes radicaux?
Tant au Pays basque qu'en Catalogne, le meilleur rempart de Madrid contre
les indépendantistes de tous bords (y compris les nationalistes dits modérés)
est constitué par leurs divisions idéologiques dans
un éventail allant de la démocratie chrétienne gestionnaire
de l'économie de marché à l'altermondialisme teinté
de marxisme. L'union durable de toutes les tendances menacerait réellement
l'intégrité de l'Espagne.
Quant à la Galice, soumise au PP pendant 24 ans au cours
des 28 dernières années, la suprématie de la droite "espagnoliste"
y est si grande et si constante qu'on est tenté de ramener le nationalisme
galicien à un accident passager de l'histoire.
Une cause essentielle de la survie et de la vigueur des nationalismes basque
et catalan est la difficulté éprouvée longtemps par
ces régions, qui ont une identité historique et culturelle,
à s'identifier à un Etat oppresseur ou défaillant. Compte
tenu de l'impact à la fois politique, économique et psychologique
durable de la perte d'un empire (défaite espagnole de Cuba en 1898),
d'une guerre civile (1936-1939) et de près de 40 ans de dictature
franquiste, l'Espagne n'offre à ses peuples périphériques
un visage aimable et éventuellement attrayant que depuis les années
1980. Etait-ce déjà trop tard pour circonscrire au Pays basque
et en Catalogne des nationalismes séculaires?
C'est la véritable question à laquelle apportera peut-être
une réponse le mandat de quatre ans de Patxi Lopez. Il n'aura pas la tâche facilitée par la crise économique globale. Elle fait de l'Espagne, avec ses quatre millions de chômeurs,
le "malade de l'Europe", selon le titre d'un éditorial de l'influent
quotidien de centre gauche El Pais.
Réagissez en rappelant titre et/ou date de l'article
- Réaction de BEÑAT OTEIZA
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