|
4e manifestation contre une négociation avec les séparatistes basques
Espagne - ETA : la droite en guerre sale contre une paix ...sale aussi?
|
Affiche de l'Association des victimes du terrorisme: "Nous voulons savoir la vérité! Négociation en mon nom, non!" |
par Christian Galloy
Analyste politique Directeur de LatinReporters.com
MADRID, dimanche 11 juin 2006 (LatinReporters.com) - La moitié
de l'Espagne en guerre contre une paix "humiliante" que va négocier
le "traître" Zapatero avec les terroristes basques de l'ETA?... Des
centaines de milliers de manifestants ont à nouveau tenté d'accréditer
cette image samedi à Madrid, mêlant cette fois à la polémique
le massacre islamiste du 11 mars 2004. Guerre sale, en somme, contre une
paix peut-être sale aussi.
Le gouvernement régional de Madrid, contrôlé par le Parti populaire
(PP, opposition de droite) évalue le nombre des manifestants
à "environ un million". La préfecture de Madrid, dépendante
du gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero,
rabaisse ce chiffre à 242.923 (sic).
Quatrième marée humaine déferlant depuis janvier 2005 sur
la capitale contre un dialogue entre l'ETA et les socialistes de M. Zapatero,
celle de samedi est la première postérieure au "cessez-le-feu
permanent" annoncé le 22 mars dernier par les séparatistes
basques. Ils n'ont plus tué depuis mai 2003. Perpétrés dès 1968, leurs
attentats ont fait plus de 800 morts et des milliers de blessés.
"Nous voulons savoir la vérité! Négociation en mon
nom, non!" Ce double slogan chapeautait la manifestation convoquée
au coeur de Madrid sur l'immense Plaza de Colon par l'influente Association
des victimes du terrorisme (AVT), avec l'appui habituel du PP, qui représente
près de 40% de l'électorat espagnol. Le PP et l'AVT estiment
qu'un contact avec l'ETA ne se justifierait que pour recevoir l'annonce de
sa dissolution.
La "vérité" réclamée pour la première
fois sur les banderoles de l'AVT et par les cris des manifestants vise l'identité
des responsables intellectuels des attentats de Madrid du 11 mars 2004 (191
morts et près de 2.000 blessés, victimes de bombes posées
dans quatre trains de banlieue par un commando d'islamistes réclamant
le retrait des troupes espagnoles dépêchées en Irak).
Trois jours après le massacre, le Parti
socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de M. Zapatero gagnait les élections
législatives, alors qu'avant la tuerie tous les sondages prédisaient
la victoire des conservateurs du PP. Aussi, contrairement
à la justice, au gouvernement et à la majorité de l'opinion
reflétée dans les sondages actuels, le PP, quelques médias
et désormais aussi l'AVT s'interrogent-ils sur l'éventuelle
complicité, au moins passive, de secteurs pro-socialistes de la police
dans les attentats de Madrid. Cette thèse maintient en outre l'hypothèse
initiale d'une participation de l'ETA.
Sur la Plaza de Colon, des manifestants criaient "Zapatero assassin" et "Guerre à l'ETA".
Une immense banderole aux couleurs nationales interrogeait la foule:
"ETA-Zapatero-PSOE: qui est derrière le 11M?" [11M pour 11 mars
2004; ndlr].
Le président de l'AVT, Francisco José Alcaraz, clamait que,
face à l'ETA, "l'Espagne ne se rendra pas en notre nom". Il accusait
ensuite le socialiste Zapatero de "jeu sale" et de "trahir les Espagnols".
Avec l'insinuation, sans fondement objectif déterminant jusqu'à présent,
d'une responsabilité socialiste dans les attentats de Madrid, la guerre
de l'AVT et du PP contre le gouvernement de M. Zapatero n'en paraît pas moins
sale aussi, au point d'irriter d'autres collectifs de victimes du terrorisme et
la grosse pointure du PP qu'est le maire de Madrid, Alberto Ruiz Gallardon.
L'adjectif "sale" menace également le processus dit de paix avec l'ETA, dont
M. Zapatero pourrait annoncer officiellement l'ouverture avant la fin du
mois de juin.
En 1989, un autre gouvernement socialiste, présidé par Felipe
Gonzalez, et en 1998-1999 le gouvernement du PP de José Maria Aznar
avaient déjà ouvert des pourparlers avec l'ETA. Ces contacts
échouèrent sur le refus espagnol d'une négociation politique.
Pas question pour MM. Gonzalez et Aznar d'aller au-delà des modalités
d'un adieu aux armes et du sort des prisonniers basques. Les séparatistes,
eux, voulaient mettre sur la table la reconnaissance du droit à l'autodétermination
et une "territorialité" basque englobant la Navarre et le Pays basque
français.
José Luis Rodriguez Zapatero s'est engagé à refuser
lui aussi toute négociation politique avec l'ETA. Pourtant, les socialistes
basques, appuyés explicitement par leur chef national, M. Zapatero,
ont annoncé une prochaine rencontre avec le parti indépendantiste
Batasuna, déclaré hors-la-loi par la justice pour appartenir
organiquement à l'ETA, dont il est le bras politique.
Comme l'ETA dans ses dernières déclarations
au journal basque Gara, Batasuna ne cache
pas que la reconnaissance du droit des Basques à l'autodétermination
(qui n'impliquerait pas l'exercice immédiat de ce droit) et la "territorialité"
sont des préalables dont il faudra débattre avant d'engager
réellement un processus de paix qui déboucherait à terme
sur l'adieu aux armes. Pour son premier contact officiel avec les socialistes
(de nombreux autres furent clandestins), la délégation de Batasuna
pourrait même compter des représentants de la Navarre et du
Pays basque français. A Paris, le président Jacques Chirac
appréciera.
Convaincu d'une dérive des socialistes de M. Zapatero vers le dialogue
politique recherché depuis des décennies par l'ETA, le président
du PP, Mariano Rajoy, à annoncé qu'il rompait "toute relation" avec
le gouvernement.
Pour la première fois en trente ans de démocratie retrouvée,
un gouvernement espagnol a donc perdu, dans la lutte contre le terrorisme, l'appui
du principal parti de l'opposition.
Ouvrir, dans ces conditions, un dialogue officiel que vont "salir" les exigences
politiques traditionnelles de l'ETA (et/ou de son satellite Batasuna) risque de
transformer M. Zapatero en funambule sans cesse au bord de la chute.
La souillure de l'avantage que lui ont donné les attentats de Madrid
pour conquérir le pouvoir en mars 2004 le fragilise davantage pour
relever un tel défi.
Plusieurs observateurs croient que M. Zapatero a désormais besoin
de l'oxygène et du souffle moral que le résultat limpide
d'élections législatives anticipées lui apporterait. Mais le chef
du gouvernement prétend que cette législature ira jusqu'à son terme, en 2008.
version imprimable
Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
ARTICLES ET DOSSIERS LIÉS
Pays basque: l'ETA insiste sur l'autodétermination et la "territorialité"
Espagne-Pays basque: "Cessez-le-feu permanent" de l'ETA
Dossier Pays basque-ETA
Dossier Espagne
Tous les titres
|
|