Victimes du terrorisme basque et opposition crient à la "trahison"
Vers un dialogue ETA-gouvernement en Espagne: espoir et doutes
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Responsables clandestins de l'ETA Archives LatinReporters.com |
par Christian Galloy
Analyste politique, directeur de LatinReporters.com
MADRID, mercredi 18 mai 2005 (LatinReporters.com) - Bilan de 37 ans de violence
des séparatistes basques de l'ETA: plus de 800 assassinats, près
de 2.400 blessés et 12 milliards d'euros de dégâts matériels.
Dans l'espoir de mettre fin à cette guérilla, le Parlement
espagnol a autorisé mardi le gouvernement socialiste de José
Luis Rodriguez Zapatero à ouvrir avec l'ETA un "dialogue" conditionné
à l'abandon de la violence.
Donner le feu vert à un "dialogue" évite de parler prématurément
de négociation avec une organisation considérée comme
terroriste par l'Union européenne. Adoptée par 192 députés
et repoussée par les 147 élus présents du Parti populaire
(PP, opposition conservatrice), la résolution présentée
par le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de M. Zapatero dit textuellement:
"... Il ne reste à l'ETA qu'un destin: se dissoudre et déposer
les armes... Convaincus que la politique peut et doit contribuer à
la fin de la violence, ... nous appuyons le processus de dialogue entre les
pouvoirs compétents de l'Etat et ceux qui décident d'abandonner
la violence, en respectant à tout moment le principe démocratique
auquel on ne peut renoncer, selon lequel les questions politiques ne peuvent
se résoudre qu'au travers des représentants légitimes
de la volonté populaire. La violence n'a pas de prix politique et
la démocratie espagnole n'acceptera jamais le chantage de la violence..."
Cela veut dire que si l'ETA abandonnait la violence, le gouvernement espagnol
pourrait parler avec les séparatistes des modalités de leur
adieu aux armes, du sort de leurs 724 prisonniers (dont 153 en France) et
des réparations dues aux victimes.
Mais les revendications politiques de l'ETA, essentiellement la reconnaissance
d'un droit à l'autodétermination étendu à l'ensemble
de l'Euskal Herria (Pays basque espagnol, Navarre et Pays basque français)
ne seraient donc traitées en principe que par des "représentants
légitimes de la volonté populaire". Néanmoins, parmi
ceux-ci, le gouvernement socialiste n'exclut pas le Parti communiste des
terres basques (PCTV-EHAK, 9 députés régionaux sur 75 aux
élections basques du 17 avril dernier). Or, le PCTV-EHAK est le successeur
apparent du parti Batasuna, bras politique de l'ETA suspendu judiciairement dès 2002 et
interdit définitivement en 2003.
Les conservateurs du PP réclament la mise hors-la-loi du PCTV-EHAK, lui attribuant
autant de liens avec l'ETA qu'en avait Batasuna. Le chef de l'opposition
et président du PP, Mariano Rajoy, avait craint ce qu'il appelait
d'avance la "reddition du Parlement". Il qualifie le vote de mardi "d'événement
d'une extrême gravité", car "un Parlement démocratique
a donné à l'ETA le titre d'interlocuteur politique". Et cela,
croit le PP, au moment où la capacité opérationnelle
des séparatistes est plus réduite que jamais grâce à
l'efficacité policière.
Echecs en 1989 et en 1999
Au moins deux tentatives précédentes de dialogue avec l'ETA ont
échoué: en 1989 à Alger avec des émissaires du gouvernement
socialiste de Felipe Gonzalez, puis en 1999 en Suisse avec des représentants
de l'exécutif du conservateur José Maria Aznar.
L'ETA avait chaque fois claqué la porte. Elle n'avait pas eu satisfaction
sur la reconnaissance du droit des Basques à l'autodétermination.
Elle dénonçait aussi alors un manque d'unité des Basques
face à Madrid. Tant les socialistes que les conservateurs du PP estimèrent
à l'époque que la trêve de l'ETA avant les pourparlers
de Zurich fut un piège qui permit aux séparatistes de se réorganiser
militairement en profitant de la réduction de la pression policière.
Le PP croit que l'appel à la négociation lancé par l'ETA
fin 2004, appel auquel vient de répondre le Parlement espagnol, relèverait
de la même stratégie.
Pour cette troisième tentative, le socialiste Zapatero doit assumer
un risque qui avait été épargné à ses
prédécesseurs: c'est en effet la première fois que l'opposition,
en l'occurrence les conservateurs du PP, se désolidarise de la politique
gouvernementale en matière de terrorisme.
"Vous trahissez les morts!" lançait à M. Zapatero le leader
conservateur Mariano Rajoy lors du débat parlementaire sur l'état
de la nation. "Les morts et les vivants!" renchérit le président
de l'Association des victimes du terrorisme (AVT), Francisco José
Alcaraz. Il appelle "tous les citoyens de bien" à manifester le 11
juin prochain à Madrid contre une éventuelle négociation
avec l'ETA.
Dans ce climat, tout nouvel attentat mortel des indépendantistes serait
un revers politique grave infligé au gouvernement socialiste. C'est
probablement pourquoi M. Zapatero a sollicité et obtenu le feu vert
de la majorité des députés. Jamais auparavant le Parlement
espagnol n'avait octroyé une telle autorisation solennelle. Un sondage
du quotidien le plus proche des socialistes, El Pais, estime par ailleurs
que 61,4% des Espagnols seraient favorables au dialogue conditionné
avec l'ETA.
Les séparatistes n'ont plus tué depuis deux ans. Cette réalité
est invoquée par les socialistes pour justifier l'espoir d'un dialogue
menant à la paix. Des rumeurs sur l'existence effective de contacts
courent depuis plusieurs mois. Mais les séparatistes dynamitaient
encore dimanche dernier, faisant trois blessés légers, quatre
entreprises basques qui n'ont peut-être pas payé l'impôt
révolutionnaire.
"Le processus, s'il démarre, durera des années, peut-être
plusieurs législatures, comme celui d'Irlande, initié [avec
l'IRA] en 1993" prévient mercredi l'éditorialiste d'El Pais.
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