Espagne - Garcia Lorca enterré aux côtés de Franco?...
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Federico García Lorca (1898 - 1936) Wikisource - Creative Commons | |
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par Jean Chalvidant (*)
Jeudi, 5 avril 2007 (LatinReporters.com) - Bizarre cette communication
délivrée par le chercheur espagnol Miguel Caballero. Selon
lui, les restes du poète Federico García Lorca se trouvent
selon toute vraisemblance dans une fosse commune située entre les
villages grenadins de Viznar et Alfacar, mais il serait possible qu'ils
aient été transportés au Valle de los Caídos,
[sépulcre pharaonique du général dictateur Francisco
Franco; ndlr], lors d'exhumations illégales réalisées
entre 1945 et 1982.
Le Caudillo avait en effet voulu faire du Valle, à 50 km au nord-ouest
de Madrid, un lieu de réconciliation -du moins dans la mort- et avait
donné l'ordre d'y ensevelir les restes tant des combattants nationalistes
que républicains de la guerre civile de 1936-1939.
Beaucoup d'informations approximatives circulent sur la mort de Lorca.
Communément, il est acquis que le poète a été
assassiné par les troupes franquistes, ce qui est faux. On cherche
en vain dans ses écrits ou ses discours un engagement partisan, même
si la majorité de ses amis artistes était de gauche. Pire,
il avait été question un temps qu'il rédige les paroles
du Cara al Sol, l'hymne de la Phalange, dont il admirait le chef, José
Antonio, qui le lui rendait bien.
De plus, il faut savoir que ses moeurs ouvertement homosexuelles et sa manie
de la provocation avaient exaspéré Grenade, cette capitale
de province bigote et réactionnaire. Aussi, lorsque les franquistes
se rendent maîtres de la ville, se cache-t-il chez des amis phalangistes,
les frères Rosales (dont l'un, Luis, deviendra l'un des grands poètes
du siècle). C'est là, calle Angulo, qu'une bande dénommée
l'Escuadra negra, de tendance démocrate-chrétienne musclée,
commandée par un ancien député de la CEDA (Confédération
espagnole de droites autonomes), Ramón Ruiz Alonso, vient l'arrêter
alors qu'il lit le journal en pyjama. Un brillant fait d'armes!
On a pu reconstituer ce qui suivit: amené au ravin de Viznar, après
le chemin de la Fontaine, il est froidement passé par les armes.
«On lui a mis deux balles dans le cul, à ce pédé»
se vanteront ses assassins. L'accompagnent dans sa disgrâce l'instituteur
boiteux de Pulianas, Dióscoro Galindo, et deux banderilleros, Joaquín
Arcollas et Francisco Galadí, se professant anarchistes.
Lorca ne fut donc pas un martyr, pour quelque cause que ce soit, mais une
victime. Quant au chef de la bande, Ruiz Alonso, il coula des jours paisibles
jusqu'à sa mort, dans les années quatre-vingt-dix, tout comme
celui qui appuya sur la gâchette, Juan Luis Trescastros Medina, par
ailleurs marié à une cousine du père de Lorca. On peut
donc affirmer que Federico a été tué par un membre
de sa famille, sans doute pour d'obscures raisons familiales opposant les
García, les Alba et les Roldán. Ces derniers, terratenientes
jaloux, auraient-ils été les commanditaires du crime? Un sac de noeuds
qui aurait fait baver François Mauriac, lorsque l'on sait que Trescastros
est aujourd'hui enterré dans le mausolée ... des Lorca.
Depuis, périodiquement, il est question de retourner toute la terre
autour du fameux ravin pour tenter d'y retrouver des dépouilles,
et surtout celle du poète. A la recherche d'un symbole que certains
voudraient plus politique que littéraire.
[La polémique entoure une éventuelle exhumation des restes
de Federico García Lorca de la fosse commune qui pourrait les
contenir avec ceux de l'instituteur Galindo et des banderilleros
Arcollas et Galadí. La famille du poète s'oppose à l'exhumation,
alors que les descendants de Dióscoro Galindo y de Francisco Galadí
(le banderillero Arcollas n'a pas laissé de descendance) ont décidé,
eux, de réclamer devant les tribunaux l'ouverture de la fosse dès
que le permettra l'adoption parlementaire et l'entrée en vigueur d'une loi socialiste
en chantier dite de la Mémoire historique. Citée par le quotidien
El Pais du 19 août 2006, Laura García Lorca, nièce du
poète, considérait à ce propos que "la mémoire historique n'est
ni dans les os ni dans les cendres" - ndlr].
Aujourd'hui, Caballero y va de son interprétation: étant
donné que des ossements ont été ramassés entre
1945 et 1982 dans le périmètre concerné, il est possible
que ceux de Lorca aient fait partie du lot, auquel cas ses restes reposeraient
non loin de ceux de Franco et de José Antonio, au Valle de los Caídos.
Ce qui est intellectuellement admissible, mais tout de même terriblement
tiré par les cheveux. C'est là toute la différence
entre les supposés chercheurs et les autres: certains émettent
des hypothèses, alors que les vrais ne se basent que sur des faits,
des preuves. Et en l'occurrence, faute d'ADN, que dalle!
En fait, savoir que les restes de Lorca pourrissent dans un ravin de Grenade,
dans un ossuaire anonyme ou dans le Yamoussoukro franquiste a peu d'importance.
Demeure son oeuvre, qui dépasse heureusement l'homme controversé
nommé Federico García Lorca.
(*) Docteur en Civilisation espagnole, Jean Chalvidant est le spécialiste de l’Espagne et de
l’Amérique latine au MCC, le département de recherche sur les Menaces Criminelles
Contemporaines (Institut de criminologie/Université Paris II Panthéon-Assas).
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