L'expression
"coup d'Etat correctif" était utilisée
dès novembre dernier à propos du Honduras par Dante
Caputo, conseiller spécial du Secrétariat général
de l'Organisation des Etats américains (OEA) et ex-ministre argentin
des Affaires étrangères.
"Ce n'est pas un coup d'Etat pour rester
au pouvoir, mais pour le corriger. Je corrige ce qui ne me plaît pas,
puis immédiatement des élections et je m'en vais" expliquait-il
à la presse en marge d'un débat sur la démocratie régionale
organisé au Panama.
Effectivement, le Honduras a voté le 29 novembre 2009, date fixée longtemps avant le
coup d'Etat, portant à la présidence le conservateur Porfirio Lobo, immédiatement
reconnu par les Etats-Unis. Le jour de son investiture, le 27 janvier 2010,
l'ex-président évincé par le putsch, Manuel Zelaya,
reprenait le chemin de l'exil, cette fois en République dominicaine.
La veille, donc quelques heures avant de s'effacer pour occuper tout de même
un fauteuil de député à vie, le président intérimaire
Roberto Micheletti, placé à la tête de l'Etat par le vote
quasi unanime du Parlement au soir même du putsch de juin, concrétisait
en le ratifiant l'
abandon par le Honduras de l'Alliance bolivarienne pour
les Amériques (ALBA) que Manuel Zelaya avait ralliée en août
2008. Là réside la défaite du président vénézuélien
Hugo Chavez, créateur en décembre 2004 avec Fidel Castro de
cette alliance politico-économique de pays de la gauche radicale cimentée
par l'antiaméricanisme.
Dante Caputo a jugé
"hyperdangereux" le
"coup d'Etat
correctif" hondurien dans la mesure où cette nouvelle modalité,
sans prise du pouvoir par les militaires qui se sont bornés à
exécuter le coup de force, risquerait de servir de référence
à de prochaines aventures dans d'autres pays latino-américains.
Le "césarisme" présidentiel inquiète
L'ex-ministre argentin s'inquiétait parallèlement de l'existence
en Amérique latine d'un
"présidentialisme extrême,
au bord du césarisme". L'un de ses attributs serait la réélection
présidentielle, longtemps interdite dans la plupart des pays de la
région dans l'espoir de mieux se prémunir contre la dictature
et la corruption.
Selon Dante Caputo,
"la réélection présidentielle
permanente [adoptée par référendum le 15 février
2009 au Venezuela; ndlr],
avec des systèmes de contrôle républicains
très affaiblis, avec un Parlement n'exerçant pas pleinement
ses fonctions qu'il délègue, ce n'est pas la même histoire"
qu'en Europe. Si des chefs de gouvernement européens exercent le pouvoir
pendant plusieurs législatures consécutives, ajoute-t-il en
substance, c'est dans le cadre de systèmes parlementaires disposant
du vote de censure et d'autres mécanismes permanents de contrôle
démocratique plus réels qu'en Amérique latine.
Or, rappellent des observateurs dans ce contexte, c'est l'ambition de Manuel
Zelaya d'introduire, sans doute à son profit, la réélection
présidentielle prohibée par la Constitution du Honduras qui
a provoqué le coup d'Etat du 28 juin 2009. Aujourd'hui encore, l'éviction
manu militari de Manuel Zelaya est présentée à Tegucigalpa
comme la
"relève constitutionnelle" d'un président coupable
de violer la Charte fondamentale, malgré le refus et les avertissements
de la Cour suprême de Justice, du Parquet de la République,
du Tribunal suprême électoral et du Congrès national
(Parlement).
Sur la même longueur d'onde que Dante Caputo, les analystes internationaux
de l'influente Corporación Latinobarómetro, basée
à Santiago du Chili, posent dans leur Rapport 2009 ces
questions
"surgies des événements du Honduras" :
- "L'autoritarisme présidentiel est-il une forme de néodémocratie
dans laquelle on octroie le pouvoir total au président considéré
comme substitut du système démocratique?"
- "Où se situe la ligne séparant la démocratie
de la néodémocratie dans laquelle le président agit comme
substitut de la légitimité des institutions, disposant de pouvoirs
au-delà du raisonnable?"
- L'Amérique latine ne réagit-elle que lorsque les
coups d'Etat apparaissent comme tels, comme au Honduras? Et que se passe-t-il
lorsqu'on transgresse les institutions au-delà de ce qui relève
de la démocratie?
Cette dernière question de la Corporación Latinobarómetro
est fondamentale dans le cas du Honduras, comme elle pourrait l'être
actuellement dans d'autres pays. On peut la reformuler en se demandant si
une réaction en temps opportun de la communauté internationale,
surtout des Nations unies et de l'OEA, pour endiguer le défi lancé
par Manuel Zelaya à l'ensemble des principales institutions du Honduras
aurait désamorcé la préparation du coup d'Etat du 28
juin.
Le problème est que la
Charte démocratique interaméricaine
n'est activée efficacement que lorsqu'elle est invoquée par
des gouvernements. Les autres acteurs et institutions sont moins écoutés.
Le secrétaire général de l'OEA, le socialiste chilien
José Miguel Insulza, le reconnaissait le 16 juillet 2009, moins de
trois semaines après la défenestration de Manuel Zelaya. Il
ouvrait alors la porte à une éventuelle réforme de
cette Charte démocratique continentale en estimant que
"c'est
l'heure de débattre de son contenu et de ses limitations".
La réforme, qui se fait attendre, répondrait peut-être
à
"l'inquiétude" exprimée par la secrétaire
d'Etat américaine Hillary Clinton, le 11 décembre 2009 à
Washington, à propos
"des leaders élus de façon juste
et légitime, mais qui commencent ensuite à saper l'ordre constitutionnel
et démocratique, le secteur privé, les droits des citoyens à
vivre sans être harcelés ni opprimés"... Une évidence
qui aurait plus de poids si elle était soulignée au nom d'un
pays qui a moins traumatisé l'Amérique latine.
En résumé,
la leçon essentielle du coup d'Etat au
Honduras serait qu'une alarme devrait pouvoir mobiliser rapidement le système
interaméricain que chapeaute l'OEA dès les premiers dommages
infligés aux institutions démocratiques d'un pays de la région, sans
attendre que s'y produise l'irréparable. (Dans ce cas, Manuel Zelaya aurait
peut-être été aux yeux de la communauté internationale l'accusé,
mais non la victime).
Le Venezuela d'Hugo Chavez et ses principaux alliés régionaux (Cuba, Bolivie,
Equateur, Nicaragua) ne partageront pas cette démarche qui les mettrait
sous observation permanente. Ils ont depuis longtemps abouti à
la conclusion plus simple et pas nécessairement fausse que les Etats-Unis,
qu'ils impliquent dans le putsch hondurien, n'auraient pas renoncé
à leur politique de domination en dépit des espoirs soulevés
par le président Barack Obama.
Représentants de Porfirio Lobo invités par l'UE à
Bruxelles
Quant à la normalisation de la position internationale du Honduras,
mis au ban des nations depuis le coup d'Etat, l'Union européenne y
contribue par son invitation au gouvernement de Porfirio Lobo à participer,
du 1er au 3 février à Bruxelles, à la
"réunion
informelle" devant préparer l'imminente reprise des négociations
d'un accord d'association entre l'UE et l'Amérique centrale (Costa
Rica, Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua et Panama).
Le chef de la délégation de la Commission européenne
pour l'Amérique centrale, Mendel Goldstein, confirmait le 28 janvier
à Managua (Nicaragua) que l'UE espère conclure les négociations
en avril afin que l'accord puisse être signé lors du VIe sommet
UE-Amérique latine-Caraïbes, le 18 mai à Madrid.
La commissaire européenne Benita Ferrero-Waldner disait la même
chose une semaine plus tôt à San José (Costa Rica).
"Aucun
pays ne pourra bloquer la négociation" ajoutait-elle alors, se
référant probablement au Nicaragua. Son président sandiniste,
Daniel Ortega, ainsi que les autres présidents des pays de l'ALBA,
dont Hugo Chavez, se refusent à reconnaître le président
hondurien Porfirio Lobo, jugeant illégitime son élection
organisée sous un gouvernement
"putschiste".
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CONFIRMATION DE LA PRÉSIDENCE ESPAGNOLE DE L'UNION EUROPÉENNE
Sous le titre "
Reprise
des négociations commerciales UE-Amérique
centrale en vue", la présidence semestrielle espagnole de l'UE indique
ce 31 janvier 2010 sur son site Internet officiel que "La tenue d'élections
et l'investiture de Porfirio Lobo au poste de président du Honduras
ont débloqué la voie pour que l'UE puisse normaliser ses relations
avec ce pays d'Amérique centrale et que les négociations puissent
reprendre en vue de la signature d'un accord d'association bi-régional".
"Entre le 1er et le 3 février, les négociateurs commerciaux
des pays d'Amérique centrale et de la Commission européenne
tiendront une réunion informelle à Bruxelles, pour établir
le bilan des négociations en vue de leur reprise fin février"
précise la présidence espagnole.
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