Expulsé par l'armée du palais présidentiel à
l'aube du 28 juin dernier et déporté en pyjama au Costa Rica,
puis revenu clandestinement le 21 septembre, le président déchu
Manuel Zelaya est toujours l'hôte de l'ambassade du Brésil à
Tegucigalpa, la capitale du Honduras. Les élections de ce 29 novembre
avaient été programmées et les candidats désignés
plusieurs mois avant ce coup de force, que la communauté internationale
demeure unanime à qualifier de coup d'Etat, malgré la division
qui s'élargit sur l'acceptation ou non du verdict des urnes.
Le "Front de résistance" au coup d'Etat appelle à un "couvre-feu
populaire" le 29 novembre, c'est-à-dire à l'abstention massive
des électeurs. L'abstention atteignait déjà 45% lors
de l'élection, en novembre 2005, de Manuel Zelaya pour un mandat courant
en principe jusqu'au 27 janvier prochain. Malgré l'appui du président
vénézuélien Hugo Chavez et de ses alliés régionaux,
le "Front de résistance" n'a pas réussi à soulever un
mouvement national suffisamment large et efficace pour forcer le retour de
Manuel Zelaya à la présidence. Celle-ci est occupée
provisoirement par l'ex-président du Congrès national (Parlement
monocaméral), Roberto Micheletti, porté à la tête
de l'Etat par le vote quasi unanime des 128 députés. Il s'est mis en congé le
temps du scrutin dans l'espoir de le crédibiliser davantage.
Conformément à la Constitution qui interdit la réélection,
ni Zelaya ni Micheletti ne sont candidats à la présidentielle de ce 29 novembre.
Riche propriétaire terrien, Manuel Zelaya fut élu président
il y a quatre ans comme candidat du Parti libéral (droite), auquel
appartient aussi Roberto Micheletti. Zelaya surprit ensuite son propre parti,
qui le renia, en signant en août 2008 l'adhésion du Honduras
à l'ALBA, l'Alliance (à l'époque Alternative) bolivarienne
pour les Amériques, organisation politico-économique de la
gauche radicale dont les principaux membres sont Cuba, le Venezuela, la Bolivie,
le Nicaragua et l'Equateur.
Coup d'Etat contre coup d'Etat
Le coup d'Etat du 28 juin empêcha une consultation populaire par laquelle
Manuel Zelaya voulait ouvrir la voie par étapes à une révision
de la Constitution pour la tourner vers le socialisme et y introduire la
réélection présidentielle, dont la Charte fondamentale
prohibe pourtant expressément toute tentative d'instauration. La
Cour suprême de Justice, le Parquet de la République, le Tribunal
suprême électoral et le Parlement du Honduras avaient déclaré
illégale cette consultation avortée par la défenestration
de Manuel Zelaya.
Des analystes en ont déduit que le coup d'Etat a empêché
un autre coup d'Etat, celui que Manuel Zelaya voulait perpétrer contre
les institutions du pays pour se perpétuer à la présidence
comme l'y poussait Hugo Chavez. Ces analystes soulignent qu'un autre allié
du président vénézuélien, le sandiniste Daniel
Ortega, vient de concrétiser
au Nicaragua un coup de force institutionnel
répondant aussi à une ambition de réélection
présidentielle. Jusqu'à présent, seuls les Etats-Unis
et des instances secondaires de l'Union européenne ont interpellé,
mais avec une relative discrétion, le Nicaragua sur son nouveau dérapage
antidémocratique, survenu un an après des
élections municipales
entachées de multiples accusations nationales et internationales de fraude.
La justice du Honduras entend toujours poursuivre le président Zelaya
pour haute trahison. Mais l'erreur impardonnable de ses adversaires, pourtant
largement majoritaires et soutenus par l'ensemble des institutions, fut de
ne pas ouvrir une procédure légale de destitution présidentielle
et d'utiliser le 28 juin la soldatesque pour une mise à l'écart
expéditive considérée légitimement par la communauté internationale comme un putsch militaire, même si l'armée n'assume pas le pouvoir.
Des couvre-feux à répétition, la dure répression
policière de manifestations de minorités violentes et l'inadmissible musellement
intermittent de médias d'opposition ont logiquement imposé une
perception visuelle des événements qui a obscurci la réflexion
sur leurs causes.
Dénoncé par Manuel Zelaya pour désaccords sur son interprétation
et son application avec un inflexible et manœuvrier Roberto Micheletti,
l'
Accord Tegucigalpa / San José
conclu le 30 octobre pour résoudre
la crise hondurienne devait assurer la légitimité des élections
de ce 29 novembre. Conçu par le président costaricain Oscar
Arias, prix Nobel de la Paix 1987, parrainé par les Etats-Unis et
l'Organisation des Etats américains (OEA), cet accord prévoyait
notamment la création d'un gouvernement d'unité nationale,
tout en laissant au Parlement la décision du rétablissement
ou non de Manuel Zelaya à la présidence du Honduras jusqu'à
l'investiture, le 27 janvier 2010, de son successeur élu au suffrage
universel.
Aucun gouvernement d'unité nationale n'a été formé
et les députés ne se prononceront sur le rétablissement
du président déchu que le 2 décembre, trois jours après
les élections. Considérant que la présidence devait être
rendue à Manuel Zelaya avant le triple scrutin, la quasi totalité
de la communauté internationale, y compris l'OEA et l'Union européenne,
considère les élections comme illégitimes et se refusera,
dit-elle, à en reconnaître les résultats. Manuel Zelaya
a réclamé un report ou une répétition des élections et il sollicite des
Nations unies et de l'OEA la soumission de la crise hondurienne à un tribunal international
"ad hoc".
Les Etats-Unis, le Costa Rica, le Panama, le Pérou et la Colombie
sont les premiers à fissurer le font du refus international. A Washington,
l'administration du président Barack Obama croit que le meilleur outil
pour remettre sur les rails la démocratie au Honduras sont les élections
du 29 novembre, non engendrées par le coup d'Etat précise la Maison blanche, car convoquées, organisées et régies par un Tribunal électoral constitué longtemps avant l'éjection de Manuel Zelaya. Cette position des Etats-Unis
et leur récent accord avec la Colombie pour utiliser au moins sept
bases militaires de ce pays créent en Amérique latine des frictions
même avec le président brésilien Luiz Inacio Lula da
Silva, en qui Barack Obama voudrait voir un interlocuteur régional
privilégié.
Et l'Iran? Et l'Afghanistan? Et la Guinée équatoriale?
"En vérité, je voudrais demander aux pays d'Amérique
latine qui ont dit qu'ils ne reconnaîtront pas le prochain gouvernement
[du Honduras], pourquoi ils reconnaissent le gouvernement de l'Iran
alors que les élections n'y ont pas été limpides, pas
plus qu'en Afghanistan, dont ils reconnaissent aussi le gouvernement" note
quant à lui le président du Costa Rica, Oscar Arias. Cette opinion ne passe pas
inaperçue dans la mesure où la médiation de l'ancien prix Nobel de la Paix
dans la crise hondurienne a toujours été appuyée
par la communauté internationale, à l'exception du Venezuela
et de ses alliés.
A noter dans le même esprit que l'Espagne socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero,
fer de lance de l'opposition européenne à la reconnaissance des élections
honduriennes du 29 novembre, n'a pas émis la moindre objection sur l'élection
présidentielle du même jour dans son ancienne colonie qu'est
la Guinée équatoriale, dominée par une dictature parmi
les plus dures et les plus corrompues du continent africain. Le président-dictateur
équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema, au pouvoir depuis
son coup d'Etat militaire de 1979, a pourtant refusé que des observateurs et des journalistes
étrangers assistent à sa plus que certaine réélection triomphale, unique
résultat électoral autorisé. Il est vrai
que les gisements pétroliers de son pays excusent ses caprices.
Selon les sondages, le nouveau président élu du Honduras sera
probablement
Porfirio Lobo, du Parti national. Son principal concurrent est
Elvin Santos, du Parti Libéral. Ces partis de droite sont les deux
principaux du pays et ils se succèdent à la présidence
du Honduras depuis des décennies. Lors de la dernière élection
présidentielle, en 2005, ils se partagèrent en moitiés
quasi égales 96% (bien 96%) des votes valables.
Vaincu en 2005 sur le fil par Manuel Zelaya, Porfirio Lobo avait dénoncé
des irrégularités avant d'accepter sa défaite. Pendant
la campagne de l'époque, il accusa Zelaya d'être impliqué dans le massacre
de 14 personnes, dont deux religieuses et deux prêtres, au cours d'une manifestation de paysans
sans terre en 1975. Le père de Zelaya avait été arrêté dans cette
affaire écrivait l'Agence France Presse le 27 novembre 2005. Aujourd'hui, conscient de l'importance
d'une reconnaissance internationale, Porfirio Lobo promet un "dialogue national" auquel il invite
Manuel Zelaya.
Malgré l'appel au boycott des élections lancé par le
"Front de résistance" au coup d'Etat, dont le candidat, Carlos Reyes,
s'est retiré le 9 novembre de la course à la présidence,
les partisans de Manuel Zelaya qui ne s'abstiennent pas pourraient voter
pour César Ham, candidat présidentiel de l'Unification démocratique
(UD). Ce parti gauche qui compte 5 des 128 députés sortants
soutient le président déchu.