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Du Panama à la Terre de Feu, seule la Colombie plébiscite la droite
Le Paraguay vire à gauche: Lugo, évêque des pauvres et président
ASUNCION, lundi 21 avril 2008 (LatinReporters.com) -
Vote historique au Paraguay.
L'ancien prélat progressiste Fernando Lugo, proche de la théologie
de la libération et surnommé "l'évêque des pauvres",
a été élu président dimanche, mettant fin à
61 ans d'hégémonie du Parti Colorado (nationaliste conservateur).
Du Panama à la Terre de Feu, en Amérique du Sud, mais non dans
l'ensemble de l'Amérique latine, seule la Colombie fait encore confiance
à un président élu de droite.
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Dès son investiture, le 15août 2008, Fernando Lugo assumera la présidence du Paraguay pendant un mandat de 5 ans non renouvelable. Sa victoire met fin à 61 ans d'hégémonie du Parti Colorado - Photo FernandoLugoAPC2008 |
Présenté par ses adversaires pendant la campagne électorale
comme un "rouge" appuyé par le président Hugo Chavez du Venezuela,
mais refusant une étiquette idéologique précise pour
se définir lui-même comme "progressiste préoccupé
par les pauvres", l'ex-évêque Fernando Lugo, 56 ans (57 le 30
mai prochain), a obtenu 40,82% des suffrages. Selon les résultats
diffusés par le Tribunal électoral et portant sur 92% des bureaux
de vote, il devance ainsi de dix points, de manière irréversible,
sa concurrente immédiate.
Au Paraguay, l'élection présidentielle se joue à la
majorité simple lors d'un tour unique. Fernando Lugo sera investi
le 15 août prochain, succédant pour un seul mandat constitutionnel
de cinq ans au président sortant Nicanor Duarte. Pour célébrer
sa victoire, des dizaines de milliers de Paraguayens ont plongé dimanche
soir le centre d'Asuncion, la capitale, dans une immense fête ponctuée
de concerts de klaxons, de feux d'artifice et de drapeaux divers, surtout
bleus, la couleur de l'Alliance patriotique pour le changement (APC) de l'ex-évêque.
La 2e place, avec 30,72%, revient à Blanca Ovelar, ex-ministre de
l'Education et candidate du parti gouvernemental Colorado. Au pouvoir depuis
1947, le Colorado avait soutenu la longue dictature du général
Alfredo Stroessner (1954-1989). Quant à l'ancien général
putschiste Lino Oviedo, de l'Union nationale de citoyens éthiques
(UNACE, droite populiste), il se classe 3e avec 21,98% des voix. Le mieux
situé des quatre autres candidats ne surpasse pas 2,37%.
Parmi les 6,5 millions de Paraguayens, 2.861.940 électeurs étaient
appelés à désigner dimanche le président, le
vice-président, les 45 sénateurs et 80 députés
du Congrès, ainsi que les gouverneurs des 17 départements.
La participation fut de 65%. Les résultats des scrutins législatif
et départemental sont encore indéfinis, mais il semble certain
qu'aucune formation ne contrôlera une majorité absolue au Congrès.
En Colombie, le terrorisme de la guérilla marxiste des FARC
nuit à la gauche
En Amérique du Sud, c'est-à-dire dans le sous-continent au
sud du Panama, seule la Colombie fait encore confiance à un président
de droite élu démocratiquement, Alvaro Uribe. Même le
président péruvien Alan Garcia, que certains classent aussi
à droite, appartient théoriquement à la gauche, fût-elle
modérée. Son Parti Apriste est en effet membre de l'Internationale
socialiste.
La singularité de la Colombie s'expliquerait surtout, aux dires mêmes
de personnalités du Pôle démocratique alternatif (PDA),
principale formation de gauche de ce pays, par les atrocités perpétrées
par la guérilla marxiste des FARC (Forces armées révolutionnaires
de Colombie). Cette guérilla soutenue par le président Hugo
Chavez du Venezuela séquestre notamment la Franco-Colombienne Ingrid
Betancourt et plus de 750 autres otages, y compris des enfants. Ses crimes
contre l'humanité dénoncés par les principales organisations
internationales de défense des droits humains nourrissent l'immense
popularité (plus de 80% dans les derniers sondages) de la politique
dite de "sécurité démocratique" du président
conservateur colombien Alvaro Uribe. Contre la gauche, même démocratique,
le terrorisme des FARC lui sert de repoussoir électoral.
Avec le triomphe de Fernando Lugo au Paraguay, diverses gauches dominent
tous les pays du Mercosur, le marché commun sud-américain avec
lequel l'Union européenne (UE) tentera de relancer la négociation
d'un accord d'association le mois prochain au Pérou lors du Ve Sommet
UE-Amérique latine et Caraïbes. Les membres à part entière
du Mercosur sont le Paraguay, le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay et
bientôt aussi le Venezuela, dont le processus d'adhésion est
très avancé.
Evêque jusqu'en décembre 2006, Fernando Lugo embrassait alors
la politique et renonçait au sacerdoce, peu efficace à ses
yeux contre la pauvreté, pour commencer à forger l'Alliance
patriotique pour le changement (APC) qu'il a menée au triomphe.
Le Vatican et la Conférence épiscopale du Paraguay ont averti,
droit canonique à l'appui, qu'on ne peut pas renoncer au titre d'évêque.
Selon Rome, il faut l'assumer à vie. Pour l'Eglise, Fernando Lugo
serait donc toujours Monseigneur Lugo, même si le Saint-Siège
l'a frappé, pour insubordination, d'une suspension "a divinis" prohibant
l'administration des sacrements.
Avec qui dire la "messe"? Avec Chavez ou avec Lula?
Les Paraguayens continuent d'appeler Fernando Lugo "l'évêque
des pauvres". Partisan notamment d'une réforme agraire dans un pays
où 300.000 paysans sont sans terre, avec quel autre président
de la région dira-t-il la "messe"? Avec Hugo Chavez, comme le prétendent
ses adversaires, ou avec Lula? Evangile radical vénézuélien
ou catéchisme social-démocrate brésilien?
Le différend quant à la répartition des bénéfices
de la puissante centrale hydro-électrique commune d'Itaipu, injuste
selon l'ancien prélat, risque de faire souffler le froid sur ses relations
avec Brasilia. Par ailleurs, l'absence d'une majorité absolue parlementaire,
dont bénéficie par exemple depuis près de dix ans le
Vénézuélien Hugo Chavez, conditionnera les réformes
prônées par Fernando Lugo dans un Paraguay miné par la
pauvreté, qui frappe 35% de la population, le chômage, l'émigration
massive et la corruption.
En outre, la coalition de l'ex-évêque devra prouver sa cohésion
au moment de concrétiser une politique gouvernementale. L'APC englobe
de multiples mouvements sociaux du monde paysan, indigène et syndical
relevant en majorité de la gauche, y compris la plus radicale. Néanmoins,
la colonne vertébrale électorale de cette alliance est une
formation de centre droit, le Parti libéral radical authentique, longtemps
second parti du pays et principal concurrent historique du Colorado.
Les premières déclarations, au soir de sa victoire, de Monseigneur
ou Monsieur Fernando Lugo à la presse et à la multitude de
ses partisans semblent sortir d'une Bible contemporaine et nationaliste:
"Les petits aussi, nous sommes capables de vaincre... Vous avez décidé
que le Paraguay serait libre et indépendant! Nous avons écrit
l'histoire!... Le Paraguay a été et redeviendra grand dans
le concert des nations... Je veux demander au bon Dieu de bénir cette
nation paraguayenne, dont tous les fils méritent de meilleurs moments",
surtout "ceux [les émigrés] qui déambulent à
Buenos Aires, à New York, en Espagne, au Brésil ou dans n'importe
quelle partie du monde".
Au-delà des idéologies, il a aussi affirmé que l'apport
de tous "pour transformer le pays" sera le bienvenu et que son gouvernement
sera composé "des meilleurs, sans distinction de couleurs" pour mener
une politique "sans clientélisme ni sectarisme". Le mot "socialisme"
n'a pas été prononcé ou pour le moins n'a pas été
entendu.
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