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Amérique du Sud et Amérique centrale: 2 sommets très distincts
Sommet latino-arabe de Brasilia et division de l'Amérique latine
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Le président Lula au sommet Amérique du Sud - Pays arabes des 10 et 11 mai 2005 à Brasilia Photo Ricardo Stuckert/PR |
par Isaac Bigio
Analyste international - www.bigio.org
Lundi 16 mai 2005 (LatinReporters.com) - Deux sommets présidentiels
quasi simultanés se sont réunis la semaine dernière.
Tandis que le président américain George W. Bush recevait les
présidents de six républiques d'Amérique centrale, le
président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva était l'amphitryon
du Ier sommet entre 12 pays sud-américains et 22
pays arabes. Chacune de ces initiatives allait en sens inverse de l'autre.
Le président des Etats-Unis se réunissait à Washington
avec ses homologues du Honduras, Ricardo Maduro; du Guatemala, Oscar Berger;
du Nicaragua, Enrique Bolaños; du Salvador, Elias Antonio Saca; du
Costa Rica, Abel Pacheco et de la République dominicaine, Leonel Fernandez.
Ces mandataires vinrent à Washington pour appuyer Bush, cherchant
à l'aider à obtenir du Congrès l'approbation du CAFTA
(Central American Free Trade Agreement), le traité de libre-échange
entre les Etats-Unis et l'Amérique centrale.
Par contre, les dirigeants sud-américains réunis à
Brasilia adoptaient une résolution se distanciant de la stratégie
"antiterroriste" et "unilatérale" des Etats-Unis.
Tandis que l'Amérique centrale a les yeux fixés sur le Nord,
l'Amérique du Sud regarde de tous côtés. Le Brésil, le Mercosur
(marché commun sud-américain regroupant le Brésil, l'Argentine,
le Paraguay et l'Uruguay) et le centre gauche qui a conquis le pouvoir dans
plusieurs pays de la région font pression pour unir l'Amérique
du Sud au sein d'un marché régional autonome par rapport aux
Etats-Unis. Un marché appelé à négocier aussi
avec l'Europe, la Russie, la Chine, la Ligue arabe et l'Asie.
Alors que le Sud réclame un monde multipolaire et critique la guerre
en Irak, nombre de gouvernements centraméricains appuient cette intervention
et cherchent à s'abriter sous le parapluie économique et politique
du président Bush.
Et si la Chine est perçue en Amérique du Sud comme un partenaire
acheteur de matières premières, elle est vue par contre en Amérique
centrale comme un rival menaçant les exportations textiles de la région
vers l'Amérique du Nord.
Le principal écueil de la politique centraméricaine de portes
ouvertes sur les Etats-Unis se trouve paradoxalement à Washington,
où le Congrès redoute que soit affectée la production
agricole nationale ou qu'augmente l'immigration hispanique.
Stratégie du Brésil
Le Ier sommet Amérique du Sud - Pays arabes s'inscrit dans un virage
stratégique impulsé par le Brésil. Il s'agit du plus
important événement international qu'ait présidé
Luiz Inacio Lula da Silva. Il est un élément de sa stratégie
visant à obtenir pour le Brésil un siège permanent au
Conseil de sécurité, principal organisme des Nations unies,
et à prendre la tête d'un bloc sud-américain favorable
à un monde multipolaire. Ce bloc devrait jouir d'une certaine autonomie
à l'égard de Washington et tisser des liens bilatéraux
avec la Russie, l'Europe, l'Afrique et l'Asie. Avec la Chine et l'Inde, Lula
veut organiser un axe des trois colosses géographiques du Sud.
Le Brésil veut capitaliser le fait de compter de nombreux descendants
d'immigrants du Moyen-Orient. Plus de 10 millions de Sud-Américains
ont une ascendance arabe. Plusieurs d'entre eux ont dirigé le gouvernement
ou l'opposition dans divers pays, tels l'Argentine, la Colombie, l'Equateur
et le Salvador.
Le commerce entre les deux régions est encore limité. A peine
3,5% des importations du Moyen-Orient viennent d'Amérique du Sud. Le
sommet de Brasilia a cherché à élargir les liens, à
capter des investissements arabes et à ouvrir de nouveaux marchés
pour les fruits, le soja, les céréales, la viande et les métaux
sud-américains. Mercosur et le Conseil de coopération du Golfe
ont signé des accords.
Le sommet, qui aurait dû servir à unir le bloc sud-américain,
a démontré la fragilité des relations entre voisins
tels que le Chili et le Pérou, ainsi que le Brésil et l'Argentine.
Le président argentin Nestor Kirchner s'est retiré prématurément
du conclave. Craignant d'être relégués au rang de puissances
latino-américaines inférieures, l'Argentine et le Mexique s'opposent
à l'ambition du Brésil d'obtenir un siège permanent
au Conseil de sécurité des Nations unies. En outre, les exportations
du Brésil vers l'Argentine se multiplient et ont une plus grande valeur
ajoutée que celles de son voisin, qui proteste contre le déséquilibre.
Tension aussi entre le Chili et le Pérou. A Brasilia, le président
péruvien Alejandro Toledo a prié son homologue chilien Ricardo
Lagos de s'excuser publiquement pour la vente, il y a dix ans, d'armes chiliennes
à l'Equateur, alors opposé au Pérou dans un conflit
frontalier. Un sentiment antichilien renaît au Pérou, attisé
par le gouvernement et par des opposants en quête de popularité.
Le Venezuela a utilisé le sommet de Brasilia pour aller de l'avant
dans la concrétisation de Petrosur, une multinationale pétrolière
publique sud-américaine, et pour tisser un bloc en faveur de la "souveraineté"
et contre "l'interventionnisme et l'unilatéralisme" nord-américains.
"Droit des peuples à résister à l'occupation
étrangère"
Les pays d'Amérique du Sud et de la Ligue arabe ont des régimes
très différents. Tandis que le sous-continent abrite des démocraties
de libre marché qui élisent des gouvernements relevant d'une
gauche modérée, la région arabe ne comporte que peu
de démocraties et est scindée entre autocraties les plus draconiennes
et certaines dictatures nationalistes protectionnistes. En dépit de
la faiblesse tant des échanges commerciaux que des affinités
idéologiques entre les deux blocs, ceux-ci veulent s'appuyer mutuellement
pour construire avec le Nord des relations commerciales et politiques plus
avantageuses.
Le sommet Amérique du Sud - Pays arabes s'est prononcé en faveur
de l'octroi au Pérou et au Qatar d'un siège non permanent au
Conseil de sécurité de l'ONU en 2006-2007. Mais le Brésil
n'a pas réussi à faire appuyer son ambition d'y occuper un
siège permanent.
Deux prises de position nouvelles au sommet de Brasilia: les 22 pays arabes
représentés, y compris la Syrie et la Libye, acceptèrent
de reconnaître Israël et les 34 signataires de la déclaration
finale ont reconnu "le droit des peuples à résister à
l'occupation étrangère". Ce dernier point pourrait être
invoqué par le Hamas ou le Hezbollah, mais il risque aussi de l'être
par la guérilla colombienne des FARC.
Les alternatives en Amérique latine se définissent entre deux
pôles. La voie centraméricaine tend à s'insérer
dans la sphère économique et politique des Etats-Unis, tandis
que l'axe sud-atlantique fait pression en faveur de la création d'un
bloc autonome dans le processus de globalisation. Les Andes se situent géographiquement
et politiquement entre ces deux chemins.
Liste des 34 pays ayant participé au Ier sommet Amérique du Sud - Pays arabes,
les 10 et 11 mai 2005 à Brasilia:
Algérie, Arabie saoudite, Argentine, Bahreïn, Bolivie, Brésil, Chili,
Colombie, Comores, Djibouti, Egypte, Emirats arabes unis, Equateur, Guyana, Irak, Jordanie,
Koweït, Liban, Libye, Maroc, Mauritanie, Oman, Palestine, Paraguay, Pérou, Qatar,
République arabe de Syrie, Somalie, Soudan, Surinam, Tunisie, Uruguay, Venezuela et
Yémen. [Retour haut de page]
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