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Bolivie: le président Carlos Mesa renforcé par sa démission... révocable
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Le président Carlos Mesa - Photo Presidencia de la República |
LA PAZ, mardi 8 mars 2005 (LatinReporters.com) - Les nombreux appels à
un "pacte national" tendaient à convaincre députés et
sénateurs boliviens, réunis mardi en session extraordinaire
du Congrès, de refuser la démission du président Carlos
Mesa. Jugeant "ingouvernable" la Bolivie agitée par des conflits sur
la gestion du gaz et de l'eau, le chef de l'Etat n'a toutefois pas qualifié
d'irrévocable sa démission, qui lui vaut une vague d'appuis
nationaux et internationaux.
Des milliers de manifestants dans plusieurs villes, l'Eglise, l'Assemblée
des droits de l'homme, les maires de La Paz et d'El Alto, le patronat et
le président du Sénat, Hormando Vaca Diez
(il deviendrait chef de l'Etat si la démission de Carlos Mesa était
acceptée par les parlementaires), appellent à un pacte national
de réconciliation qui permettrait au président Mesa d'aller
jusqu'au bout de la législature, en 2007. L'armée, en outre,
assure de sa fidélité le président en fonction.
Par ailleurs, contrairement à son prédécesseur évincé
en 2003 sous la pression de la rue, le président Mesa reçoit
des messages de solidarité de la quasi totalité des gouvernements
latino-américains.
De nombreux analystes de la presse bolivienne considèrent que la démission
de Carlos Mesa, sous réserve donc qu'elle soit entérinée
par le Congrès, est une manoeuvre visant à désarmer
l'opposition. Un "pacte national" avalisé par le Parlement, estiment
ces analystes, convaincrait Carlos Mesa de rester au pouvoir.
Annoncée dès dimanche soir lors d'un discours radio-télévisé
et confirmée lundi par lettre au Congrès, la démission
du président Mesa a surpris les leaders autochtones qui bloquent les
principales routes du pays pour appuyer leurs revendications. Ils risquent
désormais d'être considérés comme les seuls responsables
de l'instabilité politique en Bolivie.
Guerre de l'eau et guerre du gaz
Le député Evo Morales, Indien de l'ethnie aymara, chef des
"cocaleros" (cultivateurs de coca) du Chapare et leader du Mouvement vers
le socialisme (MAS) qualifie la démission présidentielle de
"chantage". Des dizaines de barrages érigés par ses partisans
bloquent depuis plusieurs jours des routes stratégiques, notamment
entre les villes de Cochabamba et Santa Cruz.
Evo Morales prône une quasi renationalisation du gaz et du pétrole
boliviens en exigeant du Congrès l'adoption d'une loi qui imposerait
aux multinationales des royalties à la production de 50%. Carlos Mesa, lui,
défend le maintien de 18% de royalties, mais en y ajoutant des impôts -que
pourraient plus facilement éluder les multinationales prétend Evo Morales-
jusqu'à concurrence de 32% de la valeur de la production. Les réserves de gaz naturel de la Bolivie sont les
plus importantes d'Amérique du Sud après celles du Venezuela.
Evo Morales réclame aussi la convocation rapide d'une Assemblée
constituante pour réviser la Constitution. Aux élections municipales
de décembre dernier, le MAS, résistant à la désintégration
qui lamina les autres partis nationaux, émergea comme la première
force politique de Bolivie. Dans ce contexte, Evo Morales pourrait être
le favori d'une éventuelle élection présidentielle anticipée.
Lors de la présidentielle de 2002, il créa la surprise en frôlant
la victoire.
L'autre pôle de contestation se maintient à El Alto, cité-dortoir
de 700.000 habitants, dont une majorité d'Indiens Aymaras, à
14 km de La Paz. Le président de la Fédération des comités
de quartier (juntas vecinales) d'El Alto, l'autochtone Abel Mamani, bloque
des voies locales et menace d'occuper l'aéroport international.
Il mène une "guerre de l'eau" contre Aguas del Illimani, filiale de
la multinationale française Suez-Lyonnaise des eaux. Constatant qu'elle
laisse 200.000 habitants d'El Alto sans eau courante et sans connexion aux
égouts, Abel Mamani exige la rupture immédiate -et non par
étapes comme décidé par le président Mesa- du
contrat conclu entre cette société et l'Etat bolivien.
La descente sur La Paz de manifestants de choc d'El Alto fut le coup de grâce
porté en octobre 2003 au président conservateur Gonzalo Sanchez
de Lozada, contraint de s'exiler aux Etats-Unis après 32 journées
de manifestations baptisées "guerre du gaz". Elles firent quelque
80 morts et 400 blessés, la plupart tombés sous les balles
de la police et de l'armée. A l'époque vice-président
de la République, Carlos Mesa avait succédé au fugitif,
dont il s'était désolidarisé.
Eviter la violence institutionnelle
"Je ne suis pas disposé à tuer. Je n'utiliserai ni l'armée
ni la police nationale pour lever les barrages" affirmait dimanche soir Carlos
Mesa en annonçant qu'il allait soumettre sa démission "à
la considération du Congrès". Ce refus d'un recours à
la violence institutionnelle a fait balancer de nombreuses sympathies nationales
et internationales en faveur de Carlos Mesa.
Lors de la "guerre du gaz" de 2003, cette violence avait servi les contestataires
autochtones qui la subissaient. Ils sont les seuls aujourd'hui à utiliser
la force.
Les rendant responsables d'une "comédie qui mène à la
destruction de la Bolivie", le président Mesa s'en prenait vivement,
dans son discours radio-télévisé, à Evo Morales
et à Abel Mamani. Il leur rappelait la dépendance de la Bolivie
à l'égard de la communauté internationale pour que les
travailleurs boliviens "reçoivent leur salaire à la fin du
mois".
Carlos Mesa citait les avertissements qu'auraient émis "le Brésil,
l'Espagne, la Banque mondiale, les Etats-Unis, le Fonds monétaire
international, la Grande-Bretagne et l'Union européenne" à
propos de la nécessité d'une loi sur les hydrocarbures "viable
et acceptable pour la communauté internationale".
Un désengagement, fût-il partiel, des multinationales associées
à la production de gaz bolivien risquerait, selon les experts, de
créer une crise énergétique non seulement dans ce pays,
mais aussi chez ses grands voisins. Des gazoducs relient l'Argentine et le
Brésil aux gisements boliviens. Une réaction en chaîne
étendrait la menace de pénurie au Paraguay, à l'Uruguay
et au Chili.
Ces arguments n'entrent pas nécessairement dans la logique d'Evo Morales
et d'Abel Mamani, nourris d'un indigénisme entretenu par le ressentiment
historique et par l'indigence qui frappe encore la majorité des Amérindiens
en Bolivie.
Les autochtones regroupent les deux tiers des neuf millions de Boliviens.
L'arithmétique électorale montre néanmoins jusqu'à
présent qu'ils ne sont pas tous enclins à une révolution
que la misère pourrait justifier, mais qui soulèverait des
heurts ethniques dans plusieurs pays d'Amérique du Sud.
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