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Tractations pour la libération d'Ingrid Betancourt, otage de la guérilla
Colombie - "Vous dites aux FARC que la prise d'otage paye"... HRW avertit Uribe (et Sarkozy?)
BOGOTA, jeudi 7 juin 2007 (LatinReporters.com) - "En libérant
des guérilleros des FARC, vous dites à ce groupe impitoyable
que la prise d'otage paye" prévient l'organisation humanitaire Human
Rights Watch (HRW) dans une lettre au président colombien Alvaro Uribe.
Sans le citer, l'avertissement s'étend implicitement au président français
Nicolas Sarkozy, qui a obtenu la libération d'un chef des FARC dans
l'espoir de favoriser celle d'Ingrid Betancourt, otage de la guérilla.
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Sortis de prison, des guérilleros des FARC libérés par le président Uribe arrivent le 6 juin 2007 au centre de vacances Comcaja, dans la localité de Chicoral (département de Tolima, centre de la Colombie) Photo Presidencia de la República |
La Franco-Colombienne Ingrid Betancourt, ex-candidate d'un parti écologiste
à la présidence de la Colombie, est séquestrée
depuis le 23 février 2002 par les insurgés marxistes des FARC
(Forces armées révolutionnaires de Colombie). Obtenir sa liberté
par un échange humanitaire -libération de guérilleros
emprisonnés contre celle d'otages de la guérilla- est l'une des priorités
affichées par le président Sarkozy. Les FARC sont officiellement considérées comme une organisation
terroriste par l'Union européenne et par les Etats-Unis.
Emettant l'espoir que la guérilla fasse un geste identique, le président
Uribe a sorti de prison cette semaine près de 200 rebelles des FARC,
qu'on rassemble dans un "centre de vacances" du département de Tolima.
On y prépare leur élargissement définitif
et leur réinsertion dans la société.
Le terroriste Rodrigo Granda, interlocuteur de la France
A la demande expresse de Nicolas Sarkozy, confirmée par un
communiqué de l'Elysée,
Alvaro Uribe a ajouté à ces libérations
en cours celle du plus important guérillero emprisonné, Rodrigo
Granda, surnommé le "canciller" (ministre des Affaires étrangères)
des FARC.
Rodrigo Granda est pourtant condamné à 15 ans de prison. Outre
ses activités "diplomatiques" en Amérique latine et en Europe,
il initiait les rebelles au maniement d'explosifs et à la confection
de voitures piégées. S'il devait aujourd'hui voyager à
Paris, toute escale risquerait de lui être fatale, car le président
du Paraguay, Nicanor Duarte, a promis de lancer Interpol à ses trousses
pour son implication dans l'enlèvement et l'assassinat de Cecilia
Cubas, fille de l'ex-chef d'Etat paraguayen Raul Cubas.
Quoique salué par la France, l'Espagne et la Suisse (les trois pays
qui tentent de faciliter l'échange humanitaire), l'élargissement
du terroriste Rodrigo Granda, actuellement hébergé à
Bogota au siège de l'épiscopat colombien, est sans doute celui
qui aura le plus indigné Human Rights Watch. La lettre de l'organisation
humanitaire aurait toutefois plus de poids si, parallèlement aux inquiétudes
et critiques, elle indiquait un meilleur chemin à suivre pour libérer
les otages des FARC.
Au moment de son interception à Caracas (Venezuela) par les services
secrets colombiens, en décembre 2004, Rodrigo Granda était
l'interlocuteur privilégié de la France pour négocier
la libération d'Ingrid Betancourt. Nicolas Sarkozy voudrait qu'il
le soit à nouveau, mais Granda s'en remet à une éventuelle
approbation préalable de l'état-major des FARC.
Les chefs de la guérilla se sont limités jusqu'à présent
à qualifier de "farce" la libération unilatérale massive
de guérilleros ordonnée par le président Alvaro Uribe.
Ils exigent qu'un éventuel échange humanitaire de prisonniers
soit négocié dans une zone préalablement démilitarisée
qui couvrirait les municipalités de Florida et Pradera, soit un territoire
de 800 km2 dans le sud-ouest de la Colombie.
Lettre du directeur exécutif de Human Rights Watch (HRW), José Miguel
Vivanco, au président colombien Alvaro Uribe
(traduction de LatinReporters - original en anglais):
Washington, D.C., 6 juin 2007
Président Alvaro Uribe Velez
Présidence de la République de Colombie
Palais de Nariño
Bogota, Colombie
Monsieur le Président,
Je vous écris pour exprimer la grave préoccupation de Human
Rights Watch concernant votre proposition de libérer ou de réduire
les peines de prison de politiciens actuellement soumis à enquête
pour divers crimes de collaboration avec des paramilitaires, concernant aussi
les mesures que vous prenez pour libérer des membres de la guérilla
des FARC qui purgent actuellement des peines de prison pour leurs crimes.
Vous avez largement justifié ces mesures. Néanmoins, comme
nous l'expliquons ci-dessous, ces mesures contredisent en fait les objectifs
que vous êtes censé poursuivre. Ces mesures sont plutôt
susceptibles de promouvoir une culture de l'impunité et de dissimulation,
laissant intact le pouvoir des groupes paramilitaires et de la guérilla.
I. La libération de collaborateurs de paramilitaires
[NDLR - Dans cette première partie de sa lettre, le directeur
exécutif de Human Rights Watch soutient qu'il est indispensable, pour
instaurer une dissuasion effective, d'éviter l'impunité de
personnalités liées aux réseaux politiques et financiers
des paramilitaires. C'est dans la même optique qu'il s'oppose, dans
la seconde partie, traduite entièrement ci-dessous, à l'actuelle
libération unilatérale de guérilleros des FARC.]
II. La libération unilatérale de membres des FARC
Vous avez récemment pris des mesures visant à libérer
unilatéralement des membres de la guérilla des FARC qui ont
été condamnés et purgent des peines de prison pour leurs
crimes. Plusieurs aspects de votre décision nous inquiètent
beaucoup:
1) Des personnes responsables de crimes contre l'humanité et
de crimes de guerre, y compris de prises d'otages, ne doivent pas être
libérées
De nombreux membres des FARC actuellement emprisonnés purgent des
peines pour crimes contre l'humanité et pour violations sérieuses
des lois de la guerre ou pour crimes de guerre, tels que prise d'otage, meurtre,
disparitions forcées et recrutement d'enfants combattants. Votre gouvernement
a l'obligation en vertu du droit international, y compris le Statut de Rome
de la Cour pénale internationale, d'engager la responsabilité
de ces auteurs de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre.
Par conséquent, il est impératif que la Colombie honore ses
engagements légaux internationaux et s'abstienne d'octroyer le pardon
ou des réductions de peine à tout individu coupable de ces
crimes odieux.
2) Une libération unilatérale enverrait des messages dangereux
aux FARC
L'organisation de guérilleros à laquelle ces individus appartiennent,
les FARC, fait de la prise d'otages une pratique régulière et
a cherché à utiliser ses otages pour faire pression sur le
gouvernement afin qu'il accède à ses exigences. Elle a affiché
à plusieurs reprises un profond mépris de la vie et du bien-être
de civils et d'otages. Ses chefs ont également montré un manque
de sérieux et de crédibilité lors d'anciennes négociations
avec le gouvernement.
En libérant des membres des FARC de la prison, vous enverrez à
ce groupe impitoyable le message très dangereux signifiant que la prise
d'otage paye. Plutôt que de les encourager à négocier,
vous risquez de les inciter à commettre d'autres atrocités.
3) Les membres emprisonnés des FARC ne devraient pas recevoir
des avantages pour démobilisation
Les membres des FARC que vous libérez de la prison ne s'étaient
pas démobilisés lorsqu'ils en avaient l'opportunité,
avant d'être arrêtés. Comme dans le cas des politiciens
qui ont collaboré avec des paramilitaires, il n'y a aucune bonne raison
de leur accorder le pardon ou d'autres avantages liés à une
démobilisation postérieure à leur arrestation et condamnation.
4) La libération de membres emprisonnés des FARC responsables
des crimes sape le pouvoir de la loi
Les membres des FARC que vous libérez avaient été
condamnés grâce au dur travail et aux sacrifices d'enquêteurs,
de procureurs et de juges. Dans un pays où l'impunité est la
norme, cela fait partie des rares cas où les institutions de la justice
semblent avoir fonctionné. En libérant ces individus avant
qu'ils aient accompli leur peine, votre gouvernement renforcera le message
disant que ceux qui commettent des crimes sont rarement, voire jamais, punis
et que même des membres des FARC peuvent toujours trouver une manière
de se soustraire à une pleine responsabilité.
* * *
En justifiant ces mesures, vous avez dit plusieurs fois qu'elles sont nécessaires
pour surmonter "la tragédie" qui consume la Colombie. Mais ce sont
les victimes civiles colombiennes -les millions de personnes déplacées,
les parents des disparus, les enfants combattants, les victimes d'enlèvements
et les syndicalistes, journalistes, et défenseurs des droits de l'homme
assassinés- qui ont supporté le poids de cette tragédie.
Pendant des années, les responsables de ces atrocités ont évolué
librement, à même de continuer à profiter de la souffrance
d'autres. Cette impunité est, en soi, une composante centrale de
la tragédie colombienne, qui mêle douleur des victimes et encouragement
aux malfaiteurs à commettre d'autres abus. En perpétuant cette
impunité, les mesures que vous proposez ne feront qu'alimenter la
tragédie plutôt que la résoudre.
Beaucoup de gens, de juges et de procureurs en Colombie luttent, malgré
de grandes difficultés, pour établir une démocratie
plus paisible et plus prospère, où les droits de l'homme et
la loi sont respectés. Dans ce but, nous vous invitons à prendre
des mesures efficaces, abandonnant ces propositions et mesures mal conçues
et appuyant en échange les enquêtes et la mise en cause d'individus
impliqués dans des abus et la corruption.
Cordialement,
José Miguel Vivanco
Directeur exécutif [de Human Rights Watch]
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