A l'élection présidentielle de mai 2006, le
candidat du Polo Democratico Alternativo (Pôle démocratique
alternatif), à l'époque Carlos Gaviria, avait obtenu 22% des
suffrages et s'était classé second, devancé seulement
par le président conservateur Alvaro Uribe, réélu dès
le premier tour avec 62% des voix.
Le président Uribe n'a pas encore signifié qu'il briguerait
l'an prochain un troisième mandat de quatre ans. Mais ses partisans
ont déjà lancé la mécanique du référendum
constitutionnel qui permettrait de concrétiser cette éventuelle
ambition du chef de l'Etat., toujours très populaire dans son pays.
Rendu public le 3 novembre, l'accord définitivement signé le 30 octobre à Bogota
par trois ministres d'Alvaro Uribe avec l'ambassadeur des Etats-Unis permet
à la première puissance mondiale d'utiliser au moins sept bases
militaires colombiennes pendant une période de dix ans renouvelable.
Sont en principe visés le narcotrafic et, sous le vocable "terrorisme", les guérillas colombiennes
d'extrême gauche, principalement les Forces armées révolutionnaires
de Colombie (FARC, marxistes), qui se financent notamment par le trafic de
cocaïne. [
Texte intégral de l'accord, en
espagnol et en anglais]
Mais l'hostilité diplomatique engendrée dans la région
par cet accord a isolé le président Uribe au sein de l'Unasur
(Union des nations sud-américaines). Son
homologue vénézuélien Hugo Chavez veut voir dans les
facilités militaires offertes aux Etats-Unis une menace directe pour
le Venezuela, pour son pétrole et sa "révolution", ainsi que
pour les gouvernements de gauche d'Amérique latine. Même en
précisant que "se préparer à la guerre est la meilleure
manière de l'éviter", Hugo Chavez a soulevé une notable
inquiétude internationale en ordonnant publiquement le 8 novembre
à son armée de "se préparer à la guerre et d'aider
le peuple à se préparer [aussi] à la guerre" pour repousser,
le cas échéant, une attaque des Etats-Unis via la Colombie
voisine.
C'est dans ce contexte que le sénateur Gustavo Petro, 49 ans, ex-militant
de la guérilla urbaine du
M-19 (Mouvement du 19 avril), écrit
au président Obama que le nouvel accord militaire bilatéral
"n'a aucune valeur juridique" et "ne lie pas la nation colombienne", car
Alvaro Uribe ne l'a pas soumis à l'autorisation du Sénat comme
l'exigerait la Constitution.
Aussi le candidat présidentiel du Polo Democratico assimile-t-il l'utilisation
de bases militaires colombiennes par des forces américaines à
un "transit illégal de troupes et de personnel étrangers" que
"les traités internationaux" pourraient taxer "d'occupation illégale".
En conséquence, Gustavo Petro prie le président Obama "de suspendre
unilatéralement le processus d'aménagement des bases militaires
et le transfert de personnel". "Nous vous invitons, avec l'aide de la communauté
internationale, à suivre d'autres chemins durables d'entente qui nous
mènent à la paix" conclut le sénateur colombien.
Sa menace de dénoncer le nouvel accord doit être appréciée
en fonction de ses possibilités de remporter dans six mois la prochaine
élection présidentielle. Si Alvaro Uribe se représente,
les chances de Gustavo Petro et de tout autre candidat à la présidence
de la République de Colombie seront en principe très réduites.
Mais au-delà du scrutin présidentiel, la position de Gustavo
Petro doit aussi être analysée par rapport à ce que ce
sénateur et ex-guérillero personnifie aujourd'hui, à
savoir l'aile modérée d'une gauche parlementaire en majorité
hostile à ce que son candidat présidentiel n'hésite
plus à appeler "le terrorisme" de la guérilla des FARC.
Et que l'accord militaire américano-colombien soit dénoncé
avant son premier terme de dix ans dépend peut-être de la capacité
du Polo Democratico à convaincre une majorité de Colombiens,
par exemple d'ici la présidentielle de 2014, de ne plus associer la
gauche aux bombes et aux prises d'otages de la guérilla marxiste des
FARC soutenue par Hugo Chavez.
L'Uruguay offre une référence d'actualité. Un autre
ex-guérillero assagi, José Mujica, pourrait y assurer le 29
novembre le maintien à la présidence d'une gauche victorieuse
pour la première fois en 2004. Le Frente Amplio (Front élargi)
de José Mujica et de Tabaré Vazquez, le président uruguayen
social-démocrate sortant, présente précisément
de nombreux points communs avec le Polo Democratico colombien.