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Interview inédite (1996) du grand écrivain cubain mort lundi à Londres
Guillermo Cabrera Infante: "Avec Castro rien, contre Castro tout"

Guillermo Cabrera Infante
Photo Ministerio de Cultura
par Fabrice Bory

MADRID, mercredi 23 février 2005 (LatinReporters.com) - Se détachant parmi plus de vingt ouvrages publiés, "La Havane pour un Infante défunt" (1979), parcours érotique d'un jeune Cubain dans La Havane des années 1950, et "Trois tristes tigres" (1967), fresque sensorielle et musicale des nuits cubaines pré-castristes, ont assis la renommée internationale de l'écrivain Guillermo Cabrera Infante. Exilé depuis 1966 à Londres, il y est décédé lundi à l'âge de 75 ans.


Lauréat en 1997 du Prix Cervantes, considéré comme le Nobel littéraire hispanique, Guillermo Cabrera Infante a succombé aux suites d'une septicémie.

Né à Gibara (Cuba), journaliste, écrivain et diplomate -il fut attaché culturel, puis chargé d'affaires à l'ambassade de Cuba à Bruxelles- cet homme qui aimait l'humour, mais aussi la liberté, rompit définitivement avec Fidel Castro en 1965. Il s'exila alors d'abord à Madrid, puis au Royaume-Uni, dont il prit la nationalité, restant bien sûr considéré comme un écrivain cubain.

Son éditeur espagnol, Alfaguara, a annoncé que ses cendres seront envoyées à Cuba "lorsque le pays sera libre". Elaborant un mémoire universitaire sur les écrivains cubains en exil, Fabrice Bory avait interviewé Guillermo Cabrera Infante en novembre 1996 à Madrid.


  • En 1959, Fidel Castro prend le pouvoir. Quelle était alors votre position par rapport au nouveau régime?

    G.C.I.: L’unique réponse possible est que 90% des Cubains étaient en faveur d’un changement politique. Mais ce fut plutôt une façon de remplacer un dictateur par un autre. Mon pays a été gouverné pendant sept ans par un dictateur qui s'appelait Batista, puis par Fidel Castro pendant trente-huit ans.

  • Peut-on dire qu’au début de la Révolution, la majorité des intellectuels soutenait Fidel Castro?

    G.C.I.: Pas seulement les Intellectuels, tout le monde, la majorité des Cubains. Les seuls qui ne le soutenaient pas étaient les batistianos [les partisans de Batista].

  • En 1965, vous prenez définitivement le chemin de l’exil. A partir de quand vous êtes-vous rendu compte de la «réalité» du régime castriste?

    G.C.I.: Très vite. Vous voyez, on n’abandonne pas un pays comme on quitte un parti politique. C’est une décision majeure. J’ai essayé de la retarder le plus longtemps possible. Ce qui s’est passé, c’est que j’ai été envoyé comme attaché culturel de Cuba à Bruxelles. Et cela, d’une certaine manière, m’a aidé à prendre la décision de quitter Cuba. Cela aurait été bien plus difficile si j’étais resté à La Havane.

  • Aujourd’hui, les exilés représentent-ils l’unique forme d’opposition au régime castriste ou existe-t-il selon vous à Cuba une forme de résistance souterraine?

    G.C.I.: Je crois qu’aujourd’hui il y a une opposition de 90% des Cubains. C’est un renversement total entre les sympathisants de l’année 1959 et ceux qui détestent le régime en 1996.

  • Quelles sont les relations que vous entretenez avec les autres exilés cubains, avec ceux qui se sont installés en Floride par exemple?

    G.C.I.: C’est une relation très restreinte, car j’habite à Londres et la distance entre Londres et Miami est grande. En plus, il y a une distance culturelle importante. Les Cubains qui habitent à Miami y vivent comme s’ils étaient toujours à La Havane, c'est-à-dire qu’ils sont au courant des accidents de la circulation, par exemple d’une collision ou d’un homme écrasé, quelques minutes après les faits. En revanche, ils ne sont jamais informés de ce qui se passe en Europe par exemple ou dans le Nord des Etats-Unis. C’est un kyste cubain au milieu de la civilisation américaine.

    D’un autre côté, la position de Londres est centrale entre Paris, Madrid, Rome et New York. Cette dernière est une ville parfaite car on peut s’informer de ce qui se passe dans le monde entier, et bien sûr, par réflexe, des affaires cubaines, sans avoir à y participer directement.

    Moi, je ne connais pas d’exilés cubains à Londres. Je ne doute pas qu’il y en ait, mais je ne les ai jamais rencontrés.

  • Parmi les écrivains cubains de l’exil, Reinaldo Arenas s’est souvent distingué, jusqu’à son suicide, par son irrévérence littéraire et sa rébellion politique. Avez-vous entretenu des relations particulières avec lui ? Etait-ce un de vos amis?

    G.C.I.: Il n’a jamais été un ami. C’était un homme que j’ai commencé par admirer à travers les livres qu’il écrivait à Cuba et qu’il a dû faire publier à l’étranger. Je me réfère par exemple à "Celestino antes del alba" et au "Monde Hallucinant". Je l’ai connu au début des années 80 à Miami. Il venait tout juste de s’enfuir de Cuba. On a eu une relation assez cordiale, même si je n’aimais pas beaucoup ses méthodes de protestation. Je crois qu’il a été énormément influencé par le castrisme.

    J’ai longtemps pensé que ses deux premiers écrits à Cuba étaient supérieurs à tous ceux qu’il avait publiés en exil. Mais quand son autobiographie "Avant la nuit", que je considère comme son œuvre maîtresse, a été publiée après sa mort, mon opinion a changé. Je crois que c’est le livre d’un grand écrivain. Reinaldo Arenas fait partie de ces auteurs qui témoignent d’une situation douloureuse avec une capacité d’expression maximale. On pense alors à Dostoïevski quand il a écrit ses mémoires en prison, mais aussi à Soljenitsyne. Je trouve que c’est vraiment un livre extraordinaire.

  • Aujourd’hui qu’est-ce qui pourrait sauver Cuba? Un soulèvement qui partirait du peuple, une sorte de «printemps de Cuba» serait-il possible?

    G.C.I.: Cela exigerait en amont le départ de Fidel Castro du pouvoir et celui de son frère Raúl Castro. C’est seulement de cette façon que l’on peut envisager un changement démocratique à Cuba, car il ne peut y avoir de solution tant que Fidel Castro est au pouvoir. L’unique chose qui peut se développer à Cuba après Castro, c’est un jeu démocratique très ferme et très visible qui permette au peuple de choisir la forme de gouvernement qu’il désire. C’est l’unique chose que je considère comme idéal. Maintenant, que cela puisse arriver, il faut se le demander.

  • Mais que peut faire le peuple cubain?

    G.C.I.: Dans les circonstances actuelles, le peuple ne peut rien faire, mais il faut penser à la Roumanie où le peuple ne pouvait rien faire non plus car il régnait dans ce pays une situation de terreur. Une fois Ceaucescu mort, les choses ont pu changer. Je crois que c’est possible à Cuba. Il est même possible que quelqu’un soit élu président à Cuba qui ne nous plaise pas tellement. C’est la volonté du peuple qui prévaut et il faut la respecter.

  • Enfin, peut-on connaître votre position par rapport à l’embargo américain?

    G.C.I.: J’ai une devise pour toute cette situation: «Avec Castro rien, contre Castro tout ». Tout ce qui contribuera à éliminer Castro du pouvoir est pour moi le bienvenu.

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