Des centaines de milliers de clandestins n'en bénéficieront pas
Espagne: régularisation record de près de 700.000 étrangers sans-papiers
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Pique-nique d'immigrés équatoriens dans un parc de Madrid Photo LatinReporters.com |
par Christian Galloy
Analyste politique, directeur de LatinReporters.com
MADRID, lundi 9 mai 2005 (LatinReporters.com) - La régularisation en Espagne de près de
700.000 étrangers sans-papiers a été sollicitée par leurs employeurs,
lors d'une période de trois mois clôturée samedi. Des centaines de milliers
de clandestins sont restés en marge du processus. Le gouvernement socialiste
de José Luis Rodriguez Zapatero parle de succès sans précédent
en Europe, mais les ONG (organisations non gouvernementales) critiquent le
caractère trop sélectif de la régularisation.
Le chiffre officiel diffusé lundi est de 690.679 demandes de régularisation. Selon
le ministre espagnol du Travail, le socialiste Jesus Caldera, l'opération engloberait
ainsi plus de 80% des travailleurs étrangers clandestins, dont il estime le nombre
à 800.000. (Mais beaucoup d'illégaux n'ont pas d'emploi). A peine 3,15% des
demandes ont été rejetées.
Cette régularisation massive serait un nouveau record européen si elle
surpassait la légalisation d'également près de 700.000 clandestins en 2003
en Italie. Le ministre Caldera y voit déjà "le plus vaste processus
d'affleurement d'économie souterraine en Europe au cours des 40 ou
50 dernières années".
Régularisation moins humanitaire qu'économique
Avalisés impérativement par une preuve de résidence en Espagne
antérieure au 7 août 2004, par un extrait de casier judiciaire
vierge et surtout par un contrat de travail d'au moins six mois (trois mois
dans l'agriculture), tous les dossiers de régularisation, présentés
obligatoirement par des employeurs, concernent exclusivement des étrangers qui
travaillaient au noir en Espagne.
Les chômeurs sont exclus de cette régularisation moins humanitaire
qu'économique. La hausse attendue des rentrées fiscales et la
consolidation de la sécurité sociale étaient des objectifs
proclamés par le gouvernement socialiste espagnol en faisant éclater
l'immense poche de travail clandestin avec la collaboration des syndicats
et d'employeurs implicitement amnistiés.
Parmi les 690.679 candidats à la régularisation, les plus
nombreux sont les Equatoriens (20,33%), les Roumains (17,22%), les Marocains
(12,51%) et les Colombiens (8,24%), suivis, dans l'ordre, des Boliviens, des Bulgares, des
Argentins, des Ukrainiens, des Pakistanais, des Chinois, etc.
Leurs contrats de travail relèvent principalement du secteur des gens de maison
(domestiques, nurses, gardes-malades, etc., 31,67%), de la construction (20,76%), de l'agriculture et
élevage (14,61%), de l'hôtellerie (10,36%) et
du commerce de détail (4,77%).
Sur 3,7 millions d'étrangers en Espagne, soit 8,4% de la population,
on comptait au 1er janvier 1.714.256 sans-papiers en recoupant
les données du ministère de l'Intérieur et de l'Institut national
espagnol de statistique (INE). La régularisation de près de 700.000 en laisserait
donc sur le carreau au moins un million menacés d'expulsion estiment les
conservateurs du Parti populaire (PP, premier parti de l'opposition).
Même si on exclut des statistiques les citoyens de l'Union européenne (UE)
résidant en Espagne sans autorisation expresse de séjour, les immigrés
clandestins seraient encore environ 700.000, soit autant que ceux en voie de
régularisation.
C'est le calcul de SOS-Racisme et de la majorité des ONG espagnoles. Elles s'indignent de
l'insuffisance d'une régularisation trop sélective à leurs yeux. Le ministre
Caldera réplique que le bénéfice du processus s'étendra
aussi à quelque 400.000 enfants, conjoints et parents des près de 700.000
étrangers qui vont être probablement légalisés.
(Pour autant que leurs employeurs les inscrivent effectivement à la
sécurité sociale dans le délai d'un mois). Jesus Caldera
ne précise pas si ces 400.000 enfants, conjoints et parents sont déjà
ou non en Espagne.
Effet d'appel et inquiétudes européennes
Le Parti populaire souligne par ailleurs l'avalanche d'immigrants due ces derniers mois en
Espagne à l'effet d'appel de cette régularisation annoncée trop
tôt, en août 2004, six mois avant son ouverture effective.
La présidente de l'INE, Carmen Alcaide, évaluait fin avril
à 200.000 l'avalanche de nouveaux immigrants au cours du premier trimestre
2005 en Espagne. Aucune statistique officielle ne les comptabilise actuellement.
Le ministre du Travail prétend, lui, n'avoir constaté aucun
effet d'appel. Pourtant, rien qu'en 2004 et toujours selon l'INE, le nombre
d'étrangers s'est accru de 657.200 en Espagne.
L'Allemagne et les Pays-Bas ont ouvertement reproché au gouvernement
de Madrid de ne pas avoir tenu compte des efforts de coordination en matière
d'immigration au sein de l'Union européenne. L'inquiétude
dans plusieurs capitales est d'autant plus grande que les bénéficiaires
de la régularisation espagnole vont en principe pouvoir circuler au
sein de l'UE.
Le ministre Caldera affirme que cette régularisation est la dernière.
Elle est néanmoins la 6e lancée en Espagne en 20 ans. Dans un
rapport intitulé "La régulation de l'immigration en Europe",
diffusé le 4 mai à Barcelone par la Fondation La Caixa, des
professeurs de huit universités européennes estiment que "la
multiplication des régularisations extraordinaires ces dernières
années en Espagne a propagé l'idée que les voies légales
pour y résider et y travailler sont secondaires" et que "l'important
est d'entrer dans le pays, puisqu'après on finira par obtenir tous
les permis".
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