Du haut de la colline, l'Agrupacion Deportiva Alcorcon et ses amateurs de
2e B, l'équivalent d'une 3e division, ont eu le temps de voir venir
de la capitale, 13 km plus au nord, le Real Madrid et ses galactiques. Surnommés
ainsi pour leur art du ballon ne pouvant relever que d'une autre galaxie,
les Madrilènes ont avalé un tout aussi galactique 4-0, servi
cru mardi soir au premier tour de la Coupe d'Espagne, cette Coupe du Roi
dite autrefois Coupe du Generalisimo (Franco).
L'Espagne, incrédule, ne parle que de l'
"humiliation", jusqu'au
"ridicule", des stars du club le plus riche et le plus titré
de la planète, déjà pratiquement éliminé
de la coupe. Pour y survivre, il devrait réaliser un sensationnel
5-0 au match retour, le 10 novembre. L'affaire fait la une de l'information
écrite, audio-visuelle et digitale. Zapatero, Obama et Sarkozy sont
éclipsés.
Ils préféreraient l'être aussi, les Raul, Guti, Diarra,
Benzema, Van Nistelrooy et Cie, écrasés par une poignée
d'étudiants, d'employés et d'ouvriers vêtus de jaune
et courant comme des lièvres sur la pelouse. En maillot blanc frappé
d'une couronne désormais moins royale, les célébrités
mondiales du foot-business ont été ridiculisées par
des inconnus -qui ne le sont déjà plus- nommés Borja
Perez, Ernesto Gomez, Juanma, etc. Quasi une révolution cubano-bolivarienne
du ballon rond.
Il est vrai que ni le brésilien Kaka ni le Portugais Cristiano Ronaldo,
blessé, n'étaient alignés. De quoi donner raison au journal
sportif qui titrait après une autre défaite du Real Madrid
"Sin Cristiano no hay paraiso" (Sans Cristiano, pas de paradis). Un
titre-verdict inspiré de la pulpeuse série télévisée
de TeleCinco
"Sin tetas no hay paraiso" (Sans nichons, pas de paradis).
Il n'empêche. Neuf internationaux du Real, espagnols ou étrangers,
ont joué mardi. Ils reflétaient suffisamment en principe la
puissance du Real Madrid, dont le budget annuel est 300 fois supérieur
au 1,2 million d'euros du modeste A.D. Alcorcon.. A eux seuls, Ronaldo
et Kaka coûtent ensemble au club présidé par Florentino
Perez 22 millions d'euros par saison, outre les 159 millions
déboursés en juin pour leur transfert.
Au cours de ses trois dernières rencontres, le Real Madrid a glané
un match nul et deux défaites.
"Cela commence à trop ressembler
à l'autre fois" note à la une, sous le gros titre
"Honte"
(Vergüenza), le quotidien As. Revenu au printemps dernier à la
présidence du club qu'il avait déserté en février
2006 vu l'échec de sa formule de galactiques surpayés (à
l'époque, Figo, Zidane et Beckham), le milliardaire Florentino Perez,
manitou du BTP espagnol et international, ressert effectivement aujourd'hui
le même plat, cuisiné moins pour le sport que pour rentabiliser
financièrement l'image de stars.
On en retire logiquement la même impression qu'en 2006, à savoir
qu'arriver au club de légende qu'est le Real Madrid, neuf fois vainqueur
de la Coupe d'Europe des champions, ainsi que de 30 championnats et 17 coupes
d'Espagne, transformerait les galactiques en retraités d'exception
jugeant, de par leur seule appartenance au Real, n'avoir plus rien à
prouver et ne prouvant effectivement plus rien.
En quittant le stade Santo Domingo d'Alcorcon, dont les gradins faits pour
3.000 personnes accueillaient mardi soir près de dix mille supporters,
le capitaine du Real, Raul, a admis qu'
"ils nous ont donné une
leçon d'humilité". Le directeur général du
club madrilène, l'Argentin Valdano, a pour sa part demandé
"pardon au madridisme" (sic).
"Je m'en vais d'Alcorcon avec beaucoup de
honte" a murmuré Pellegrini, l'entraîneur chilien des vaincus.
La presse croit que Papa Noël lui offrira son limogeage.
"Va-t'en
maintenant!" (¡Vete ya!) lui lance à la une, à côté
de sa photo, le quotidien Marca.
"Humiliant" reconnaissait à
son tour mercredi le président Florentino Perez. Il recommande
"tranquillité"
et
"patience" à un moment où
"notre projet n'est
pas encore à la hauteur que nous souhaitons".
Mais moins qu'à la crise du Real Madrid, c'est au mérite des
footballeurs de l'A.D. Alcorcon que la presse attribue le 4-0 de mardi soir.
"L'United, le Barça, le Chelsea, la Juve, l'Inter ou n'importe
quelle équipe auraient subi la défaite hier au stade Santo
Domingo" écrivait mercredi Marca. Il qualifie de
"héros"
des
"footballeurs qui ne gagnent pas de quoi prendre leur retraite à
30 ans, à qui souvent jouer au football coûte de l'argent, qui
ne signent pas d'autographes, ne donnent pas de conférences de presse,
n'ont pas de glamour et ne sont pas entourés de femmes".
"Cela réjouit ceux qui ont encore un brin de romantisme" estime
sur son blog un autre chroniqueur de Marca, Fernando Carreño.
Illustrant son romantisme néanmoins particulier pour glorifier l'A.D.
Alcorcon, il ajoute:
"Parfois les oiseaux se transforment en Stukas. Parfois
les Indiens ornent leur tipi de scalps de la cavalerie. Parfois les lavandières
s'assoient sur le trône royal".
A Alcorcon, cité satellite mais autonome grossie depuis dix ans d'immigrés
d'Amérique latine, du Maghreb et d'Europe de l'Est, la fête
n'en finit pas. Interrogé dans la rue par Tele Madrid sur son état
d'âme au lendemain du match, un couple de retraités a crié
au micro
"Alcorcooooooon !" Même la
page Wikipedia
dédiée à la ville mentionne déjà l'exploit des jaunes de
l'Agrupacion Deportiva.