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Pérou-présidentielle: Fujimori, l'invité inopiné du second tour

Alberto Fujimori, ex-président du Pérou d'origine japonaise - UN Photo
Keiko Fujimori, championne des voix de préférence aux législatives
Photo Wikimedia Commons
par Richard Huzta

LIMA, samedi 20 mai 2006 (LatinReporters.com) - La classe politique et surtout les deux candidats du second tour de l'élection présidentielle ont été pris de court au Pérou par la liberté provisoire qu'a octroyée jeudi la Cour suprême du Chili voisin à l'ex-président péruvien Alberto Fujimori, détenu depuis six mois à Santiago dans l'attente d'un verdict sur son extradition réclamée par Lima.


La question brûlante est de savoir si l’ex-chef d’Etat (1990-2000) sera l’invité inopiné du second tour fixé au 4 juin. Même s'il a promis dans une interview radiophonique le silence sur ce point, va-t-il, au risque d'embarrasser aussi le Chili qu'il ne peut quitter jusqu'à l'issue de son procès, arguer de la liberté d'expression pour tenter d'infléchir au dernier moment les résultats du scrutin au Pérou?

Le candidat nationaliste à la présidentielle péruvienne, Ollanta Humala (bien en cour auprès des présidents vénézuélien Hugo Chavez et bolivien Evo Morales), estime que la décision de la justice chilienne est "préoccupante" pour le Pérou. En 2000, alors qu’il était encore officier dans l’armée, Ollanta Humala avait pris la tête d’un soulèvement contre Fujimori dans le sud du pays. Cette action fit long feu. Elle lui est aujourd'hui reprochée.

Les adversaires de l'ex-militaire prétendent qu’avec son bataillon de rebelles il ne chercha qu'à créer un "rideau de fumée" pour favoriser la fuite de l’ancien chef des renseignements et éminence grise du régime de Fujimori, Vladimiro Montesinos. Ce dernier, renforçant une sensation de guerre sale dans une déclaration diffusée vendredi par le Canal N de télévision, a accusé Humala d'avoir collaboré avec Fujimori. Montesinos est actuellement incarcéré et jugé pour corruption, crimes contre l’humanité et atteintes aux droits de l’homme.

Sous le coup d'accusations semblables, Alberto Fujimori, 67 ans, était détenu le 6 novembre 2005 à Santiago du Chili, où il atterrissait après cinq ans d'exil au Japon, pays de ses ancêtres. Il croyait pouvoir préparer sa candidature à la présidentielle péruvienne en utilisant la capitale chilienne comme tremplin de son retour en politique.

Le grand favori du second tour du 4 juin, le social-démocrate et ancien président Alan Garcia (1985-90), dit ne pas craindre une intrusion de Fujimori dans les deux dernières semaines de campagne électorale. Ce serait, croit-il, sans conséquence sur le choix des électeurs. Garcia s’était exilé durant le régime de Fujimori pour échapper à la justice qui le poursuivait également pour corruption et violation des droits de l’homme, accusations aujourd’hui pour la plupart prescrites et non jugées.

Les sondages créditent Garcia d'un avantage sur Humala oscillant entre 10 et 20% des intentions de vote. Mais les 20% d'électeurs péruviens indécis ou enclins au vote blanc pourraient finalement faire la décision. Attention donc, n'en déplaise à Alan Garcia, à l'influence de Fujimori, car il en détient encore.

Simultanés le 9 avril, le premier tour de la présidentielle et les législatives révélaient en effet que le fujimorisme demeure une force significative que le prochain président ne pourra ignorer. Sa candidate à la présidence, Martha Chavez, se classait 4ème avec 7,4% des voix. Et surtout la liste fujimoriste au Congrès (chambre unique de 120 sièges), conduite par la fille de l’ex-président, Keiko Fujimori, arrivait en 2e position à Lima. Keiko, 31 ans, s'adjugeait 488.767 voix de préférence nominale (score encore provisoire), un record national tous partis confondus. Dans un Congrès au sein duquel le futur président, quel qu’il soit, ne disposera pas de la majorité absolue, les fujimoristes compteront une quinzaine de députés, dont aussi Santiago Fujimori, frère de l'ex-président.

Santiago Fujimori affirme que son groupe parlementaire s'est prononcé pour "une stricte neutralité entre les deux candidats" à la présidence. En principe, son frère et ancien chef d'Etat, dans l'espoir d'une absolution en justice qui lui permettrait éventuellement de briguer la mairie de Lima aux municipales de novembre, n'aurait pas intérêt à être associé à un candidat pouvant être défait le 4 juin.

Néanmoins, selon Carlos Raffo, porte-parole à Lima de l'ex-président Fujimori, ce dernier est habitué à manier l’art de la surprise et, avec lui, "on ne sait jamais". Va-t-il, donc, à partir du Chili, appeler ses électeurs à voter pour un candidat avec lequel il lui serait plus aisé de négocier son avenir? Santiago Fujimori a déjà révélé que la stratégie de son groupe parlementaire sera d’obtenir la levée de toutes les accusations constitutionnelles contre son frère, car elles seraient de nature strictement politique, mais de laisser la justice suivre son cours sur les accusations pénales, estimant qu’elles sont sans fondement.

Des analystes proches du fujimorisme croient que la fulgurante percée électorale d'Ollanta Humala, vainqueur du premier tour avec 30,6% des suffrages, est imputable à son "rapt" de l’électorat populaire d'Alberto Fujimori, retenu donc au Chili, mais dont, de toute façon, la candidature à la présidentielle avait été rejetée par le tribunal électoral.

L’annonce de la libération sous caution de l’ancien président est intervenue le jour même où, après bien des tergiversations, Alan Garcia et Ollanta Humala s'accordaient sur la tenue d'un face-à-face télévisé, ce dimanche 21 mai. On en attend, comme d'une machine à détecter les mensonges, une clarification des positions des candidats, qui tous deux relèvent de la gauche.

Bête noire, autrefois, des milieux d'affaires nationaux et internationaux, Garcia incarne aujourd'hui une gauche dite modérée, sociale-démocrate et affiliée à l'Internationale socialiste. Selon les principaux médias péruviens, Humala, lui, représenterait une gauche radicale influencée par le vénézuélien Hugo Chavez. L'ex-officier réplique qu'il n'est "ni de gauche ni de droite, mais d’en-bas". Mais il ajoute qu'à ses yeux le monde se divise aujourd’hui entre "pays qui mondialisent et pays mondialisés."

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