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Les dissensions entre Latino-Américains freinent le rapprochement
IVe sommet Union européenne-Amérique latine et Caraïbes (UE-ALC) à Vienne
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Le président bolivien Evo Morales, vedette médiatique du sommet de Vienne Photo Jose Manuel Blanco Diaz - Prensa Presidencial (Venezuela) |
par Christian Galloy
Analyste politique Directeur de LatinReporters.com
MADRID, jeudi 11 mai 2006 (LatinReporters.com) - Sur le
thème "Renforcer le partenariat stratégique entre l'Union européenne
et l'Amérique latine et les Caraïbes", le IVe sommet UE-ALC réunit
du 11 au 13 mai à Vienne (Autriche) les chefs d'Etat ou de gouvernement
et des ministres de 60 pays. Accentuées par le Venezuela et la Bolivie,
les dissensions entre Latino-Américains compliquent le rapprochement
birégional.
Forger un "partenariat stratégique birégional"
à la fois économique, politique, social, culturel et technologique
était déjà l'ambition des trois premiers sommets UE-ALC,
en 1999 à Rio de Janeiro, en 2002 à Madrid et en 2004 à
Guadalajara (Mexique). Ce processus a une signification tant politique que
commerciale. Il répond au souhait de l'Europe et de l'Amérique
latine d'opposer à l'hégémonie des Etats-Unis un monde
multipolaire.
Les 33 pays de l'ALC et les 25 de l'UE (la Bulgarie et la Roumanie, candidates à l'UE,
sont présentes aussi à Vienne, mais sans pouvoir décisionnel)
devaient en principe franchir un grand pas dans la capitale autrichienne.
Selon le scénario caressé encore en début d'année,
ce IVe sommet allait niveler des obstacles dans la négociation ouverte il y a sept ans entre
l'UE et le Mercosur (marché commun sud-américain formé
par le Brésil, l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay) et lancer la
négociation d'accords d'association entre, d'une part, l'UE et la
Communauté andine (Venezuela, Colombie, Pérou, Bolivie, Equateur)
et, d'autre part, l'UE et les pays d'Amérique centrale.
L'UE étant déjà associée au Mexique et au Chili (par des accords
politiques, de coopération et de libre-échange),
le sommet de Vienne aurait ainsi mis en marche ou réactivé tous les
mécanismes concourant à "l'association de 58 Etats souverains,
avec plus d'un milliard d'habitants et plus de 25% du PIB mondial". Les mots entre guillemets sont
extraits d'un article cosigné le 10 mai dans le journal madrilène El Pais
par José Manuel Durao Barroso, président de la Commission européenne,
et le chancelier autrichien Wolfgang Schüssel, président en exercice
du Conseil européen.
Réalistes, MM. Durao Barroso et Schüssel notent que le sommet
"ne garantit aucunement le progrès" des accords d'association. Et
pour cause.
Le 19 avril, le président Hugo Chavez du Venezuela annonçait
sa sortie de la Communauté andine. Il l'estime dénaturée
par les traités de libre-échange que deux de ses membres, la
Colombie et le Pérou, ont signé avec les Etats-Unis.
M. Chavez mise désormais sur le Mercosur, auquel Caracas adhère
progressivement. Avec la force de sa manne pétrolière, le bouillant
vénézuélien ne cache pas sa prétention de tenter
de "restructurer à fond" ce marché commun sud-américain,
l'orientant vers le "socialisme pour sauver nos peuples de l'abîme".
Prononcé par Hugo Chavez, le mot "socialisme" a le même sens
que lui donne son allié cubain, Fidel Castro.
Le 29 avril, Evo Morales, président de la Bolivie, autre pays de la
Communauté andine, signait à la Havane un "Traité commercial
des peuples" l'unissant à Cuba et au Venezuela dans le cadre de l'Alternative
bolivarienne pour les Amériques (ALBA), système étatique
de coopération lancé par Hugo Chavez pour s'opposer à
la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) souhaitée
par Washington.
Frappant surtout les intérêts du Brésil et de l'Espagne,
premiers investisseurs en Bolivie, Evo Morales décrétait le
1er mai la nationalisation des hydrocarbures. La Bolivie possède les
plus importantes réserves de gaz naturel d'Amérique du Sud
après celles du Venezuela. Il approvisionne le Brésil et l'Argentine,
qui devront payer plus cher le gaz bolivien.
A la requête du président brésilien Luiz Inacio Lula
da Silva, son homologue argentin Nestor Kirchner réunissait le 4 mai
à Puerto Iguazu un sommet Brésil-Argentine-Bolivie-Venezuela
pour débattre des problèmes énergétiques régionaux
créés par la nationalisation bolivienne. Malgré la cordialité
apparente de la rencontre, des médias latino-américains et
européens soulignaient la fracture qui séparerait désormais
les deux gauches de la région. A savoir, la gauche "bolivarienne"
populiste d'Hugo Chavez, Evo Morales et Fidel Castro et, d'autre part, la
gauche sociale-démocrate qui croit davantage au marché, incarnée
de fait au Brésil par Lula, en Uruguay par Tabaré Vazquez,
au Chili par Michelle Bachelet et avec des nuances en Argentine par Nestor
Kirchner.
Le panorama est aussi assombri par la crise entre l'Argentine et l'Uruguay,
née de la construction de deux usines de cellulose supposées polluantes
sur la rive uruguayenne du fleuve qui sépare ces deux pays du Mercosur.
Montevideo a évalué la possibilité de négocier
un accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Outre par le Pérou
et la Colombie, un tel accord a déjà été signé
avec Washington par le Mexique, le Chili, la République dominicaine
et cinq pays d'Amérique centrale.
Enfin, comme le souligne un conseiller de la présidence du gouvernement
espagnol, la levée des obstacles entre le Mercosur et l'Union européenne,
notamment et surtout à propos du protectionnisme agricole européen
dénoncé par les Latino-Américains, dépend plus
des négociations au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC)
que d'un sommet UE-ALC.
L'OMC conditionnant le futur de négociations clefs et la Communauté
andine et le Mercosur étant secoués par les dissensions sud-américaines,
les progrès à Vienne d'une association avec ces deux organisations
régionales sont improbables. La désunion hypothèque
leur représentativité et leur crédibilité. Les
pays d'Amérique centrale devraient être les seuls à tirer
profit du sommet, obtenant sans doute l'ouverture de la négociation
d'un accord de libre-échange avec l'UE.
A Vienne, on traitera aussi des droits de l'homme, du terrorisme, de l'environnement, de la
pauvreté, des inégalités sociales, du respect du droit international,
etc. Hugo Chavez et Evo Morales seront les vedettes médiatiques du
sommet officiel et d'un autre sommet alternatif de globalophobes. Le Brésilien
Lula et la Chilienne Michelle Bachelet mesureront également leur popularité
sur le Vieux Continent. Les Européens Chirac, Blair et autres Zapatero multiplieront les
tête-à-tête avec leurs homologues d'Outre-Atlantique.
Mais le "partenariat stratégique" entre l'Amérique latine et une Europe qui ne baigne
pas non plus dans l'euphorie attendra des jours meilleurs.
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