|
Amérique latine-Europe: sommet de Vienne dévalué par les divisions
|
Sommet de Vienne: devant les chefs d'Etat, une militante de Greenpeace proteste contre des usines de cellulose en Uruguay Photo Österreichische EU-Präsidentschaft 2006/ HOPI-MEDIA/ Sandra Holzner |
|
par Christian Galloy
Analyste politique Directeur de LatinReporters.com
VIENNE / MADRID, samedi 13 mai 2006 (LatinReporters.com)
- Avivées par les présidents bolivien, Evo Morales, et vénézuélien,
Hugo Chavez, les divisions idéologiques de l'Amérique latine
et leurs implications politiques et commerciales ont dévalué
le IVe sommet Union européenne-Amérique
latine et Caraïbes (UE-ALC), réuni du 11 au 13 mai à Vienne
(Autriche).
Evo Morales et son allié Hugo Chavez ont été les vedettes
médiatiques tant du sommet officiel que du contre-sommet qui rassemblait,
samedi, des milliers d'altermondialistes dans la capitale autrichienne.
Catéchisant sur les droits de l'homme, l'environnement,
le multilatéralisme, la cohésion sociale, etc., la
Déclaration
de Vienne souscrite par 58 pays (25 de l'UE et 33 de l'ALC) offre pour seule
avancée de "l'association stratégique birégionale" recherchée
par les chefs d'Etat et de gouvernement "la décision qu'ont prise
l'Union européenne et l'Amérique centrale de lancer des négociations
en vue d'un accord d'association, y compris de la création d'une zone
de libre-échange". Un tel accord d'association, couvrant dialogue
politique, coopération et libre-échange commercial lie déjà
l'UE au Mexique et au Chili.
Mais l'essentiel de "l'association stratégique" reste en friche. Pas
d'accord en effet avec le géant régional Mercosur, marché
commun sud-américain formé par le Brésil, l'Argentine,
le Paraguay et l'Uruguay.
Au 3e sommet UE-ALC tenu à Guadalajara (Mexique, mai 2004), l'accord
d'association avec Mercosur était annoncé pour octobre 2004.
L'optimisme est freiné par les remous politico-économiques
régionaux. Il l'a été aussi par le protectionnisme agricole
européen et en particulier français. Les tractations au sein
de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) permettront peut-être
d'y remédier. En attendant, la Déclaration de Vienne se borne
à prendre "note des progrès des négociations entre le
Mercosur et l'Union européenne en vue d'un accord d'association interrégional".
Quant à l'autre grand pilier de l'intégration sud-américaine,
la Communauté andine des nations (CAN), son association à l'UE
est suspendue dans les limbes diplomatiques. La Déclaration de Vienne
mentionne en effet le lancement, cette année, non de la négociation,
mais d'un "processus visant à la négociation d'un accord d'association".
Autrement dit, l'UE veut au préalable savoir avec qui elle parle lorsqu'elle
s'assied à la même table que la CAN.
Le 19 avril, le président Hugo Chavez du Venezuela annonçait
sa sortie de la Communauté andine. Il l'estime dénaturée
par les traités de libre-échange que deux de ses membres, la
Colombie et le Pérou, ont signé avec les Etats-Unis.
M. Chavez mise désormais sur le Mercosur, auquel Caracas adhère
progressivement. Avec la force de sa manne pétrolière, le bouillant
vénézuélien ne cache pas sa prétention de tenter
de "restructurer à fond" ce marché commun sud-américain,
l'orientant vers le "socialisme pour sauver nos peuples de l'abîme".
Prononcé par Hugo Chavez, le mot "socialisme" a le sens que lui donne
son allié cubain, Fidel Castro, mais non le président du Brésil,
Luiz Inacio Lula da Silva, rallié à l'économie sociale
de marché que défendent aussi Tabaré Vazquez en Uruguay,
Michelle Bachelet au Chili et Nestor Kirchner en Argentine.
Le 29 avril, Evo Morales, président de la Bolivie, autre pays de la
Communauté andine, signait à la Havane un "Traité commercial
des peuples" l'unissant à Cuba et au Venezuela dans le cadre de l'Alternative
bolivarienne pour les Amériques (ALBA), système étatique
de coopération lancé par Hugo Chavez. Un abandon de la Communauté
andine par la Bolivie n'est pas exclu. La CAN n'engloberait plus alors que
le Pérou, la Colombie et l'Equateur.
Frappant surtout les intérêts du Brésil et de l'Espagne,
principaux investisseurs étrangers, Evo Morales décrétait
le 1er mai la nationalisation des hydrocarbures. La Bolivie possède
les plus importantes réserves de gaz naturel d'Amérique du
Sud après celles du Venezuela. Le Brésil et l'Argentine devront
payer plus cher le gaz bolivien. Le Mercosur en est ébranlé.
Il l'est aussi par la crise entre l'Argentine et l'Uruguay, née
de la construction de deux usines de cellulose supposées polluantes
sur la rive uruguayenne du fleuve qui sépare les deux pays.
Antiaméricanisme, antioccidentalisme et effet boomerang
Communauté andine et Mercosur étant secoués par les
dissensions sud-américaines, les progrès à Vienne d'une
association avec ces deux organisations régionales étaient
improbables et le sommet a été dominé par l'impact de
la nationalisation bolivienne des hydrocarbures.
"Tout en reconnaissant le droit souverain des pays à gérer
et réguler leurs ressources naturelles, nous poursuivrons et renforcerons
notre coopération en vue d'établir un cadre commercial équilibré
et des régimes réglementaires plus compatibles" indique la
Déclaration de Vienne. Une formulation qui consacre le droit de la
Bolivie à disposer de ses ressources, mais qui l'invite aussi à
la mesure. Et au respect "des intérêts légitimes", selon
l'expression du président français Jacques Chirac.
Dès son arrivée à Vienne, Evo Morales affirmait que
les compagnies étrangères nationalisées ne seraient
pas indemnisées, car, selon le président bolivien, les biens
des multinationales ne sont pas expropriés et la poursuite de leurs
activités, même avec une rentabilité moindre, garantirait
la récupération de leurs investissements. [NDLR; des actions
de société ont néanmoins été réquisitionnées
pour assurer le contrôle public majoritaire du secteur des hydrocarbures].
Face aux protestations du Brésil, de l'Espagne, de la Grande-Bretagne
et même du secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan,
le président bolivien a garanti au sommet de Vienne la "sécurité juridique"
des investissements, sans en préciser les modalités.
Pays pourtant gouvernés par une gauche non soumise à Washington,
le Brésil et l'Espagne ont été à ce 4e sommet UE-ALC les principales
cibles de "l'anti-impérialiste" Evo Morales.
Petrobras, société publique brésilienne des hydrocarbures
et premier investisseur étranger en Bolivie, a été traitée
par le président bolivien de "contrebandier" travaillant "illégalement"
dans le pays andin. Le chef de la diplomatie brésilienne, Celso Amorim,
a exprimé son "indignation".
Tant à l'Espagne qu'à l'Europe, le président bolivien
a suggéré "la réparation des dommages" de 500 ans de colonisation.
Sourires et rencontres bilatérales postérieures ont officiellement
détendu l'atmosphère entre Evo Morales, l'Espagnol José
Luis Rodriguez Zapatero et le Brésilien Luiz Inacio Lula da Silva.
Il n'empêche que le sommet de Vienne a confirmé que l'antiaméricanisme
traditionnel de la gauche populiste latino-américaine peut dériver en antioccidentalisme
qui n'épargne pas l'Europe. Cette dernière s'exposerait donc à l'effet boomerang
en nourrissant elle-même l'antiaméricanisme, version Chirac-Villepin en France, version
Zapatero en Espagne et version gauche antimondialisation partout sur le Vieux Continent.
version imprimable
Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
ARTICLES ET DOSSIERS LIÉS
Déclaration de Vienne (texte intégral en français)
3e sommet UE-Amérique latine: renforcer l'ONU dans un monde multipolaire
Guadalajara (Mexique): 3e sommet Europe - Amérique latine et Caraïbes
Union européenne-Amérique latine: lenteur du "partenariat stratégique"
Dossier Europe - Amérique latine
Dossier Globalisation
Tous les titres
|
|