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Bolivie - Nouvelle démission du président Mesa: vers un putsch civil?
Carlos Mesa, président démissionnaire Photo Presidencia de la República |
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Le leader indien Evo Morales Photo Jeremy Bigwood |
LA PAZ, mardi 7 juin 2005 (LatinReporters.com) - Comme en
mars et à nouveau sous la pression de manifestations qui paralysent
le pays depuis trois semaines, Carlos Mesa a annoncé lundi soir à
la télévision qu'il soumettait au Parlement sa "renonciation"
à la présidence de la Bolivie. Gaz, ethnicité, misère
et influences internationales alimentent la crise bolivienne. Une menace
de putsch civil existe.
Les parlementaires avaient refusé la démission annoncée
le 6 mars dernier par le président Mesa. Aujourd'hui, il n'est pas
sûr que le Congrès national (Parlement) puisse se réunir
ou pour le moins se soustraire à la pression des manifestants afin
de se prononcer sur la nouvelle renonciation de Carlos Mesa et d'organiser
éventuellement sa succession dans le respect de la Constitution.
Venus essentiellement de la grande banlieue ouvrière et amérindienne
que forme la ville proche d'El Alto, 80.000 hommes et femmes descendaient lundi sur La Paz, bloquant notamment, comme lors de nombreuses mobilisations précédentes,
les accès à la Présidence et au Parlement. Les manifestants
réclament la nationalisation du gaz et du pétrole boliviens,
le gel du processus d'autonomie des riches départements orientaux
et la convocation d'une Assemblée constituante pour réviser
une Constitution peu généreuse envers les populations de souche
autochtone.
Au moins soixante barrages routiers paralysent le pays depuis plusieurs semaines.
Les principales villes -La Paz, Santa Cruz, Cochabamba, Potosi, etc.- ne sont plus
ravitaillées. Les réserves de carburants et d'aliments s'y épuisent. Des
sabotages compliquent la distribution d'eau.
Les principaux acteurs de la contestation sont:
-les "cocaleros" (cultivateurs de coca) conduits par le député
Evo Morales, Indien de l'ethnie aymara et leader du Mouvement vers le socialisme
(MAS, deuxième parti parlementaire);
-la Fédération des comités de quartier (juntas vecinales)
d'El Alto, dirigée par Abel Mamani, également de souche autochtone;
-la Centrale ouvrière bolivienne (COB, principal syndicat) de Jaime
Solares.
Pour s'opposer à l'exportation du gaz bolivien vers l'Amérique
du Nord via le Chili, leurs forces conjuguées avaient balayé
en octobre 2003 le président conservateur Gonzalo Sanchez de Lozada,
exilé à Miami après une répression laissant quelque
80 morts et 400 blessés lors de ce qu'on appela "la guerre du gaz". Carlos Mesa, alors vice-président, avait succédé automatiquement au chef de l'Etat en fuite, assumant le mandat présidentiel qui court en principe jusqu'en 2007.
Le président Mesa a organisé un référendum sur
la gestion des ressources énergétiques de la Bolivie, qui possède
les principales réserves de gaz naturel d'Amérique du Sud après
celles du Venezuela. Le 17 mai dernier, le Parlement approuvait une loi ajoutant
32% d'impôts aux 18% de royalties dues par les multinationales du secteur.
Cette loi ne satisfait personne:
-les multinationales (Shell, Enron, Repsol YPF, Total, British Gas, Amoco,
Petrobras) menacent de geler leurs investissements;
-les départements orientaux de Santa Cruz, Tarija, Beni et Pando,
qui concentrent l'essentiel des ressources énergétiques et
agricoles du pays, ébauchent un processus d'autonomie régionale,
déjà très avancé à Santa Cruz, pour gérer
leurs richesses en conservant le modèle libéral souhaité
par les multinationales;
-les contestataires qui ont à nouveau forcé la démission
du président Mesa et qui s'appuient sur l'Occident andin de la Bolivie
réclament la nationalisation pure et simple du gaz et du pétrole.
L'opposition entre, d'une part, Orient libéral dominé par les blancs et les
métis et, d'autre part, Occident andin pauvre et amérindien
risque de déboucher sur des heurts ethniques, voire sur la scission
de la Bolivie. Deux tiers des habitants du pays sont d'origine autochtone.
Le syndicaliste Jaime Solares, leader de la COB, est le seul à réclamer
ouvertement un putsch militaire -de gauche, certes- qui déboucherait
sur un gouvernement "militaro-civique" d'inspiration chaviste, la révolution
bolivarienne du président Hugo Chavez du Venezuela étant désormais
une référence, jugée positive ou négative, en
Bolivie et dans d'autres pays d'Amérique du Sud.
Court-circuiter la succession constitutionnelle
Plus politique et plus puissant, le socialiste aymara Evo Morales, proche
de Fidel Castro et de Hugo Chavez, propose de transférer directement
le pouvoir au président de la Cour suprême de Justice, Eduardo
Rodriguez, qui n'occupe pourtant que le troisième rang dans la succession
constitutionnelle à Carlos Mesa.
Cette proposition court-circuite, dans l'ordre, le président du Sénat, Hormando
Vaca Diez, et le président de la Chambre des députés, Mario Cossio.
Constitutionnellement, chacune de ces deux personnalités, dont Evo Morales réclame
la démission, devrait, si elle succédait à Carlos Mesa, mener jusqu'à
son terme, en 2007, le mandat présidentiel.
Par contre, la Charte fondamentale bolivienne prévoit (Article 93) que si, à défaut des autres successeurs
possibles, la présidence de la
République revenait au président de la Cour suprême de Justice, ce dernier
devrait obligatoirement convoquer une nouvelle élection présidentielle si se sont
écoulés moins de trois ans du mandat en cours. Ce délai de trois ans
expire le 6 août prochain.
Evo Morales semble miser sur cette procédure en réclamant des élections
anticipées. Il estime en outre que les autonomies
régionales et la convocation d'une Assemblée constituante pour réviser la
Constitution sont des dossiers qui devraient relever d'un "Conseil national", dont le choix des
membres risquerait cependant de soulever nombre d'inquiétudes.
En conclusion, des observateurs boliviens soulignent le risque d'un "putsch
civil" qui, sous la pression continue de manifestations, court-circuiterait
le cours constitutionnel de la succession présidentielle.
Dans cette hypothèse, le principal souci d'Evo Morales serait de conserver
les apparences légales afin d'éviter à la Bolivie l'intervention
de l'Organisation des Etats américains et des représailles
politiques internationales.
Divers analystes estiment toutefois légitime de ne plus sanctifier
les mécanismes formels d'une démocratie incapable de nourrir
ses citoyens. La Bolivie demeure en effet, malgré ses richesses et
son régime parlementaire, le pays le plus pauvre d'Amérique
du Sud et l'un des plus injustes au monde quant à la répartition
du revenu national.
L'importance des réserves de gaz naturel bolivien et les sympathies
castristes et chavistes des contestataires dramatisent et internationalisent
l'enjeu. Déjà exporté au Brésil et en Argentine,
ce gaz est essentiel à l'approvisionnement énergétique
des deux principaux pays d'Amérique du Sud, surtout à l'approche
de l'hiver austral.
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