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La candidate socialiste avait obtenu 45,9% des voix au premier tour
Chili: Michelle Bachelet favorite de la présidentielle. Fin de la bipolarité?
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Michelle Bachelet www.bacheletpresidente.cl et Sebastian Piñera www2.sebastianpresidente.cl |
par Isaac Bigio ( * )
Analyste international - www.bigio.org
Jeudi 12 janvier 2006 (LatinReporters.com) - Le second tour de l'élection présidentielle
au Chili opposera dimanche la favorite Michelle Bachelet (45,9% au 1er tour),
première femme socialiste pouvant gagner une telle élection
en Amérique du Sud, à Sebastian Piñera, premier leader
non pinochétiste de l'actuelle droite chilienne. Quel que soit le résultat,
la bipolarité politique touchera probablement à sa fin.
La dictature militaire s'éteignit avec la décade des
80. Depuis le retour de la démocratie représentative dans
les années 90, les élections présidentielles chiliennes
se polarisaient entre deux camps: ceux, majoritaires, qui dirent Non et ceux
qui dirent Oui à la continuité de Pinochet lors du référendum
de 1988. Cette polarisation a permis la survie de la Concertation démocratique,
coalition de socialistes (en fait des sociaux-démocrates), de démocrates-chrétiens et de radicaux au pouvoir depuis seize ans.
Le Chili est l'unique pays où sociaux-chrétiens et socialistes
aient partagé le pouvoir aussi longtemps. Ces deux courants internationaux
sont les principales forces politiques de l'Union européenne, mais
les coalitions nationales qu'elles y nouent sont généralement
transitoires. Le Pérou, voisin du Chili, ira aux urnes le 9 avril
et un second tour de la présidentielle pourrait y opposer la sociale-chrétienne
Lourdes Flores au social-démocrate Alan Garcia, dont les partis n'ont
jamais gouverné ensemble.
Sebastian Piñera conçoit que pour amener la droite libérale
au pouvoir, il est indispensable de briser ce bloc peu habituel à
l'échelle internationale.
Son parti, Rénovation nationale (RN), et l'Union démocrate
indépendante (UDI), maintiennent leur Alliance pour le Chili. Alors
que la Concertation démocratique recourut à des primaires
internes pour déterminer qui de la démocrate-chrétienne
Soledad Alvear ou de la socialiste Michelle Bachelet serait candidate à
la présidence, Sebastian Piñera refusa de se soumettre à
un tel procédé au sein de l'Alliance pour le Chili, sachant
qu'il perdrait face à la militance plus nourrie de l'UDI de Joaquin
Lavin. C'est le premier tour lui-même de la présidentielle
qui, entre Lavin (23,2% des votes) et Piñera (25,4%), désigna
ce dernier pour représenter la droite au second tour.
Sebastian Piñera put ainsi non seulement évincer l'ex-maire
de Santiago du leadership de la droite, mais aussi commencer à miner
l'unité de la Concertation démocratique. Piñera représente
un double défi pour le pouvoir en place, qui gagna les trois élections
présidentielles précédentes avec des candidats anti-Pinochet
opposés à d'anciens associés de la junte militaire.
D'abord, Piñera opta pour le NON à Pinochet au référendum
de 1988. En outre, il a réussi à capter des cadres et des militants démocrates-chrétiens.
Tandis que les socialistes chiliens croient que maintenir la polarisation
entre pro et anti-pinochétistes garantirait leur maintien au pouvoir (d'autant
plus que le discrédit de l'ex-dictateur est immense), Sebastian Piñera,
lui, cherche à remplacer cette polarisation par une nouvelle. Il
appelle les démocrates-chrétiens à défendre
à ses côtés "l'humanisme chrétien" contre "les
socialistes appuyés par les communistes". Piñera veut mettre
à profit ses liens familiaux démocrates-chrétiens et
le ressentiment de nombreux sociaux-chrétiens envers une femme, la
candidate socialiste Michelle Bachelet, athée et très "rouge"
du temps de sa jeunesse.
Jusqu'à présent la Démocratie chrétienne (DC)
ne s'est pas rompue et elle continue, quoique sans trop d'enthousiasme,
à appuyer Michelle Bachelet. Néanmoins, plusieurs stratèges
réalisent que la DC n'est plus le premier parti du Chili ni la principale
section sociale-chrétienne des Amériques. En dépit
de l'ample victoire de la Concertation démocratique aux législatives
du 11 décembre dernier, date également du premier tour de
la présidentielle, le bloc d'élus de la DC s'est en effet
aminci.
Rester au centre de l'échiquier politique avec les socialistes comme
"compagnons de voyage" ne procurerait pas de bons résultats aux yeux
de certains sociaux-chrétiens. Ils préféreraient que
leur parti se sépare de ses alliés pour prendre la tête
du centre droit, comme au Pérou ou en Allemagne.
Un nouvel élément tendant à perturber l'actuelle bipolarité
est la croissance de la gauche extraparlementaire menée par le Parti
communiste. Elle a surpassé 5% à l'élection présidentielle
et elle a approché les 10% aux législatives. Elle n'a toutefois
aucun élu, vu le maintien du système électoral pinochétiste.
Pour obtenir les voix communistes au second tour, Michelle Bachelet a promis
d'abolir ce système, ce qui permettrait à la gauche "dure"
d'avoir ses propres parlementaires aux prochaines législatives.
Des secteurs de la droite, qui voulaient auparavant éviter l'entrée
des communistes au Parlement, estimeraient aujourd'hui pouvoir en tirer
avantage, car cette entrée leur permettrait de diviser la Concertation
démocratique.
Historiquement, les socialistes chiliens ont été alliés
plus longtemps aux communistes qu'aux démocrates-chrétiens.
Que la droite chilienne se répartisse entre une aile sociale-conservatrice
(Joaquin Lavin) et une autre libérale (Sebastian Piñera),
que la Démocratie chrétienne se sépare des socialistes
et qu'apparaisse une force parlementaire communiste, une telle évolution
altérerait le modèle politique chilien et le ferait ressembler
à l'européen.
Les sondages pronostiquent un triomphe, dimanche, de Michelle Bachelet,
qui deviendrait l'unique femme présidant actuellement un pays sud-américain.
En dépit du fait que le socialisme chilien ait maintenu le pinochétisme
économique et soit attaché aux traités de libre-échange,
il est probable que le virage continental à gauche pousse Michelle
Bachelet à prendre quelques mesures radicales qui consommeraient
la division de la Concertation démocratique.
Si, par contre, Sebastian Piñera s'imposait au second tour de la
présidentielle, il serait l'unique multimillionnaire à gagner
aujourd'hui pareille élection dans un sous-continent qui tend désormais
à élire des présidents d'origine humble ou qui prêchent
en faveur des pauvres. Un tel triomphe éventuel de Piñera
ferait du Chili le principal allié des Etats-Unis dans une Amérique
du Sud qui s'incline vers la gauche.
[* Isaac Bigio fut chargé de cours sur la politique chilienne et latino-américaine à
la London School of Economics]
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