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Colombie-FARC-Venezuela: syndrome de Paris et fausse paix de Rio
par Christian GALLOY, directeur de LatinReporters
MADRID, mercredi 12 mars 2008 (LatinReporters.com) -
Depuis le 1er mars, l'attaque de la Colombie contre la guérilla des FARC en Equateur, la
mobilisation passagère aux frontières colombiennes de bataillons
vénézuéliens et équatoriens, les débats
de l'Organisation des Etats américains (OEA) saisie d'urgence et la
fausse paix conclue au sommet latino-américain du Groupe de Rio ont
définitivement internationalisé le conflit colombien. Les
Etats-Unis et la France y avaient déjà contribué.
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La famille Betancourt, le 20 novembre 2007 à Paris, enrobe le président vénézuélien Hugo Chavez. Il serait pourtant, selon des messages récupérés d'un ordinateur d'un chef guérillero abattu, complice et bénéficiaire politique du trafic d'otages des FARC, qui séquestrent Ingrid Betancourt. La mère de celle-ci, Yolanda
Pulecio, tient la main de Hugo Chavez. (Photo Marcelo Garcia - Prensa Presidencial de Venezuela) |
L'aide financière de Washington et l'envoi de matériel et
conseillers militaires américains en Colombie pour y combattre culture
de coca, trafic de cocaïne et guérillas d'extrême gauche
financées notamment par le narcotrafic sont depuis longtemps des facteurs
potentiels de l'internationalisation du conflit intérieur. Ils prédisposent
les pays du sous-continent sud-américain, la plupart conquis démocratiquement
par diverses gauches au cours de la dernière décennie, à
s'immiscer dans les affaires intérieures colombiennes au nom de la
résistance à "l'impérialisme" politique et économique
américain. A cet égard, le Venezuela du président Hugo
Chavez exerce sans complexe un droit "bolivarien" d'immixtion et pas seulement
en Colombie.
La France, elle, zigzague sur ce terrain miné poussée par le
drame d'Ingrid Betancourt. La célèbre Franco-Colombienne est
séquestrée depuis le 23 février 2002 par la guérilla
des FARC (Forces armées révolutionnaires
de Colombie, autoproclamées marxistes).
Les principaux otages des FARC seraient les ingrédients d'un nouveau
type de trafic d'esclaves et de douleur humaine organisé de concert
par cette guérilla et leur principal allié idéologique,
Hugo Chavez. Sous réserve d'authentification confiée aux experts d'Interpol (1),
les disques durs des ordinateurs de Raul Reyes, numéro deux des FARC
abattu le 1er mars au nord de l'Equateur, révèlent en effet,
selon Bogota, que la libération au compte-gouttes d'otages de la guérilla
(6 depuis janvier) remis à Hugo Chavez vise explicitement à conférer
à ce dernier une image d'artisan de la paix servant ses ambitions
internationales et domestiques. En échange, le président vénézuélien finance la guérilla, lui offre des facilités au Venezuela,
réclame sa reconnaissance semi-diplomatique comme force belligérante
et demande à l'Union européenne de l'effacer de la liste
officielle d'organisations terroristes. Bref, acculées militairement
et menacées de déliquescence (un autre de leurs sept principaux chefs, Ivan Rios,
vient d'être abattu... par sa garde personnelle!), les FARC survivent
grâce à Caracas.
Cherchant la libération d'Ingrid Betancourt, le président français
Nicolas Sarkozy, comme son prédécesseur Jacques Chirac, négocie
avec Hugo Chavez et négociait avec Raul Reyes. Paris a regretté
la mort de Raul Reyes et même condamné implicitement l'action
militaire colombienne au cours de laquelle il a été tué.
Aux yeux de l'équipe de Bernard Kouchner, ministre français
des Affaires étrangères, "Monsieur Raul Reyes" avait ouvert un dialogue
humanitaire. Un chef de preneurs d'otages négociant la rançon
politique de ceux qu'il séquestre était considéré
au Quai d'Orsay comme un philanthrope ou presque, pourvu qu'il parle d'Ingrid
Betancourt. Rudolf Hommes, ex-recteur de l'Université des Andes à
Bogota, baptise cette perversion des valeurs "le syndrome de Paris".
Le dialogue Sarkozy-Chavez en relèverait aussi, compte tenu de la stratégie
commune et planifiée unissant les FARC à Chavez.
Gestes d'Alvaro Uribe sans contrepartie
Torpiller cette stratégie "bolivarienne", fût-ce au prix de
violer la souveraineté de l'Equateur voisin pour y abattre Raul Reyes,
est un objectif logique du président colombien Alvaro Uribe. S'opposer
au trafic politique de séquestrés revient-il à se déclarer
hostile à leur libération? Les adversaires du président
Uribe, la famille Betancourt et de nombreux médias français
téleguidés par le département Amériques du Quai
d'Orsay l'affirment. Pourtant, le gouvernement de Bogota a invité
plusieurs fois et en vain les FARC à donner les noms de tous les guérilleros
emprisonnés qu'elles disent vouloir échanger contre leurs principaux
otages, dont Ingrid Betancourt. Alvaro Uribe a indiqué qu'il est disposé à
relâcher unilatéralement ceux dont la justice autoriserait la mise en liberté (2)
[et qui n'auraient donc pas commis de crimes graves; ndlr]. En demandant une liste que les chefs
de la guérilla lui refusent, probablement parce qu'ils ignorent combien de prisonniers leur sont
restés fidèles, le président colombien veut éviter
d'être à nouveau accusé
de libérer de "faux guérilleros", comme l'ont prétendu
les FARC en juin 2007 lors de l'élargissement unilatéral de
quelque 150 rebelles détenus. A la même date et à la
requête de Nicolas Sarkozy, Alvaro Uribe libérait Rodrigo Granda,
considéré avant son incarcération comme "le ministre
des Affaires étrangères" des FARC.
Ces gestes de Bogota n'ont pas eu de contrepartie. Parallèlement à
leur stratégie de libération au compte-gouttes d'otages élaborée
avec Hugo Chavez, les FARC continuent à réclamer, pour y négocier
l'échange dit humanitaire de prisonniers, la
démilitarisation des municipalités de Florida et Pradera. Elles
couvrent dans le sud-ouest colombien 800 km², sept fois la superficie
de Paris intra-muros, et comptent plus de 110.000 habitants. Pareille démilitarisation,
unilatérale car ne devant pas, selon les FARC, concerner les guérilleros,
laisserait cette population à la merci des insurgés. Mais Yolanda
Pulecio, mère d'Ingrid Betancourt, n'y voit "aucun inconvénient"
(3). Devant tout, elle et sa famille, Ingrid Betancourt y comprise, au régime
que symbolise Alvaro Uribe, l'ex-reine de beauté colombienne Yolanda
Pulecio n'en est pas moins aujourd'hui courtisane de Hugo Chavez. Les images
d'actualité la montrent constamment à ses côtés
et même, parfois, lui tenant affectueusement la main. Des témoignages
d'otages libérés font en revanche état de la noble
fermeté d'Ingrid Betancourt face à ses geôliers.
Le bombardement d'un camp des FARC et la mort de Raul Reyes en Equateur ont
rebondi devant l'Organisation des Etats Américains (OEA) et l'Assemblée
des chefs d'Etat et de gouvernement du Groupe de Rio (4), réunie la
semaine dernière à Saint-Domingue. Enquêtant in situ,
sur le lieu de l'attaque, l'OEA a déjà constaté, selon
son secrétaire général, le socialiste chilien José
Miguel Insulza, que le camp des FARC bombardé avait des structures
durables datant d'au moins plusieurs mois. Cette constatation confirmerait
les liens entre les FARC et le président de l'Equateur, Rafael Correa,
socialiste radical et allié de Hugo Chavez. A Saint-Domingue, le président
colombien Alvaro Uribe avait lu devant les chefs d'Etat latino-américains
des messages extraits des ordinateurs du numéro deux des FARC, Raul
Reyes. Ils attestaient non seulement d'une complicité actuelle entre
la guérilla colombienne et l'Equateur, mais aussi du financement partiel,
par les FARC, de la campagne électorale qui porta Rafael Correa à
la présidence de son pays en novembre 2006.
Alors que des troupes équatoriennes et vénézuéliennes
se massaient aux frontières colombiennes et que Caracas et Quito,
ainsi que Managua, avaient rompu leurs relations diplomatiques avec Bogota
en représailles de l'attaque du 1er mars contre le camp des FARC en
Equateur, le Groupe de Rio faisait taire de manière inattendue les
tambours de guerre. A la stupeur de la majorité des observateurs et
sous les applaudissements de ses pairs, le Colombien Alvaro Uribe serrait
la main et tapait amicalement l'épaule du Vénézuélien
Hugo Chavez, de l'Equatorien Rafael Correa et du Nicaraguayen Daniel Ortega.
Déclaration du groupe de Rio et conclusions
Avec ces paragraphes clés, la déclaration du Groupe de Rio
déblayait les frontières de troupes prêtes au combat
et facilitait le rétablissement de relations diplomatiques fraîchement
rompues:
"Nous rejetons la violation de l'intégrité territoriale
de l'Equateur et réaffirmons par conséquent le principe de
l'inviolabilité du territoire d'un Etat, qui ne peut être objet
d'une occupation militaire ni d'autres mesures de force prises par un autre
Etat, directement ou indirectement, quel qu'en soit le motif, même
de manière temporaire... [La Colombie est ainsi avertie; ndlr]
...Nous rappelons aussi les principes, consacrés par le droit international,
de respect de la souveraineté, d'abstention de menace ou d'usage de
la force et de non-ingérence dans les affaires internes d'autres Etats...
principe excluant non seulement la force armée, mais aussi une autre
forne d'ingérence ou de tendance attentatoire à la personnalité
de l'Etat, des éléments politiques, économiques et culturels
qui le constituent... [Avertissement à Hugo Chavez et, dans une
moindre mesure, à Rafael Correa; ndlr]
...Nous réitérons notre engagement ferme de combattre les menaces
contre la sécurité de tous les Etats, provenant de groupes
irréguliers ou d'organisations criminelles, en particulier celles
liées aux activités de narcotrafic. La Colombie considère
ces organisations criminelles commes terroristes." [Condamnation des
FARC et avertissement indirect au Venezuela et à l'Equateur,
dans la mesure où, comme le prétend la Colombie, ces deux pays
soutiendraient la guérilla colombienne; ndlr].
Conclusions? L'internationalisation du conflit intérieur colombien,
vieux de plus de 40 ans, est désormais consacrée. Elle ne favorise
pas le président conservateur colombien Alvaro Uribe, très populaire dans son pays mais
isolé dans un environnement géo-politique sud-américain dominé
par diverses gauches. Sa dénonciation, appuyée sur des messages
des ordinateurs de Raul Reyes, de l'appui du Venezuela et de l'Equateur à
une guérilla reconnue en Occident comme terroriste met toutefois Caracas
et Quito sur la défensive. L'administration américaine menace
même déjà de classer le Venezuela parmi les Etats soutenant
le terrorisme international, ce qui entraînerait des conséquences
défavorables pour Caracas, malgré sa puissance pétrolière.
En Equateur, la justice, quoique relativement soumise au régime semi-autoritaire
en place, sera contrainte d'évaluer si le président Correa
a bénéficié ou non d'un financement illégal octroyé
par les FARC.
Mais le plus important est que le sommet de Saint-Domingue n'a pas réglé
les problèmes de fond. La fausse paix issue de l'assemblée
du Groupe de Rio laisse entier le soutien de l'Equateur et surtout du Venezuela
aux FARC. Ingrid Betancourt est toujours l'otage de cette guérilla
et le conflit intérieur colombien, compliqué par les appétits qu'il
aiguise, n'est pas près d'être résolu.
"Nous nous sentons aussi Colombiens, comme appartenant à une seule
et même patrie... Nous partons du principe bolivarien que nous sommes
une seule nation, avec diverses républiques", déclarait
le 11 mars Nicolas Maduro, ministre vénézuélien des
Relations extérieures... Une confirmation de l'ambition que la Colombie
devienne tôt ou tard, comme le prétendent les FARC et Hugo Chavez,
la République bolivarienne du Sud. Le Venezuela est déjà
celle du Nord.
En attendant, ce Venezuela riche en pétrole, mais où il faut
faire longuement la queue dans l'espoir d'acheter du lait, du sucre, de la
farine, de l'huile ou de la viande, a besoin des importations colombiennes.
Cette nécessité, plus la chute vertigineuse de popularité
intérieure de Hugo Chavez, battu en décembre dernier au référendum
visant à instaurer sa réélection illimitée et
un socialisme d'Etat, ainsi qu'enfin les délais [à l'horizon
2012; ndlr] de réception et de déploiement opérationnel
de tous les avions, hélicoptères et armes diverses, essentiellement
russes, acquis par Caracas pour plus de trois milliards de dollars, tous
ces facteurs qui contrarient le régime bolivarien ont favorisé
la fausse paix, probablement temporaire, conclue lors de la réunion
du Groupe de Rio.
(1)
Colombia e Interpol firman acuerdo de asistencia técnica para el análisis de los computadores de alias "Raúl Reyes" - Secrétariat de presse de la Présidence de la République de Colombie, 12 mars 2008.
(2)
Gobierno está dispuesto a liberar más guerrilleros para avanzar hacia el acuerdo humanitario - Secrétariat de presse de la Présidence de la République de Colombie, 15 janvier 2008.
(3) Yolanda Pulecio, mère d'Ingrid Betancourt: "Il n'y a aucun inconvénient
à démilitariser ces deux bourgades [Florida et Pradera], mais le Président [Uribe]
ne le veut pas." Journal colombien El Pais, chat du 8 février 2007.
(4) Organe de consultation politique créé en 1986, en principe
à l'écart de l'influence des Etats-Unis, le Groupe de Rio englobe
20 pays: les poids lourds de l'économie latino-américaine (Brésil,
Mexique, Argentine, Chili, Venezuela et Colombie), ainsi que le Belize, la
Bolivie, le Costa Rica, l'Equateur, le Guatemala, la Guyana, le Honduras,
le Nicaragua, le Panama, le Paraguay, le Pérou, la République
dominicaine, l'Uruguay et le Salvador.
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