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Après la mort de Manuel Marulanda
Colombie, otages, FARC d'Alfonso Cano: les scénarios optimistes
pour plus de 700 séquestrés, dont Ingrid Betancourt
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De gauche à droite au 1er plan: Alfonso Cano, nouveau leader des FARC, Manuel Marulanda, le chef historique dont la mort a été confirmée le 25 mai 2008, et Jorge Briceño, alias el Mono Jojoy, chef de l'aile militaire de la guérilla. Photo d'archives - El Tiempo |
BOGOTA / MADRID, mercredi 28 mai 2008 (LatinReporters.com) -
Pour la libération des centaines d'otages des FARC -ne considérer
qu'une trentaine de séquestrés dits importants, dont Ingrid
Betancourt, est immoral-, deux scénarios favorables quoiqu'incertains
peuvent se dessiner suite à la prise en mains de cette guérilla
marxiste par l'idéologue Alfonso Cano après la mort du leader
historique Manuel Marulanda. Envisager ces schémas ne signifie pas
que le pire soit conjuré en Colombie.
Premier scénario, exagérément optimiste, mais non utopique:
déroute militaire des FARC (Forces armées révolutionnaires
de Colombie) accélérée par l'effondrement psychologique
de leurs combattants. Guérilleros et chefs locaux déserteraient
massivement et libéreraient les otages. Guillermo Leon Saenz, plus
connu sous son nom de guerre Alfonso Cano, ne serait alors qu'un vaincu sans
importance, réduit peut-être, comme ses compagnons d'un état-major
isolé, à l'exil au Venezuela ou à Cuba.
"Certains chefs du groupe terroriste des FARC ont appelé pour dire au gouvernement qu'ils sont disposés à déserter et à libérer les séquestrés, Ingrid Betancourt en tête. Ils ont demandé si leur propre liberté
serait garantie " révélait le 24 mai le président colombien
Alvaro Uribe. Il a promis récompense financière et liberté
conditionnelle en exil, par exemple en France, aux déserteurs des FARC
qui livreraient effectivement leurs otages.
Se contentant plus modestement de mesures de réinsertion sociale
et de la même mansuétude de la justice que celle offerte à
leurs anciens adversaires paramilitaires démobilisés, quelque 7.000
guérilleros des FARC, quasi la moitié des 17.000 combattants
d'il y a 5 ou 6 ans, ont déjà déserté le mouvement
rebelle, qui peine à recruter.
Même Bernard Kouchner ne pleure pas Marulanda
Au cours du seul mois de mars, les FARC ont perdu trois des sept membres de
leur secrétariat, le commandement collectif suprême: Raul Reyes
(bombardé dans son sanctuaire au nord de l'Equateur), Ivan Rios (assassiné
par le chef de sa garde personnelle) et le mythique Manuel Marulanda. Selon
la guérilla, ce dernier aurait succombé, à 78 ans, à
un infarctus. Mais le ministre colombien de la Défense, Juan Manuel
Santos, n'exclut pas qu'il ait été blessé à mort
dans un bombardement aérien ciblé par les services de renseignement.
On ne compte plus, en outre, le nombre de chefs rebelles locaux abattus
ou arrêtés récemment. Et à la mi-mai, la légendaire
guérillera Karina, longtemps symbole de la fougue révolutionnaire,
se rendait et admettait avoir lutté vingt ans pour rien.
Affrontements militaires, combat psychologique et espionnage de l'adversaire
accentuent l'avantage du gouvernement du président Alvaro Uribe. Preuve
en est que la guérilla a attendu le 25 mai pour annoncer la mort, deux
mois plus tôt, de son chef suprême Manuel Marulanda. Elle aurait
probablement retardé davantage cette annonce, qui démoralisera
nombre de guérilleros, si le ministre Santos n'avait pas révélé
24 heures plus tôt non seulement cette mort, mais aussi sa date exacte,
sa cause probable et l'identité du successeur de Marulanda.
Même le ministre français des Affaires étrangères,
Bernard Kouchner note que "la mort de Marulanda, la désertion d'un
certain nombre de responsables [de la guérilla] et l'assassinat d'autres,
hélas, semble un contexte favorable pour que les otages sortent".
Et d'ajouter: "On ne peut pas être content de la mort de quelqu'un
[Marulanda], mais je ne vais pas pleurer, franchement".
Si l'hypothèse d'un effondrement des FARC avec libération
des otages par les guérilleros déserteurs se concrétisait,
le président Alvaro Uribe, dont la popularité intérieure surpasse celle de tous
les chefs d'Etat des Amériques, aurait droit à de nombreuses excuses.
Surtout celles de la France, longtemps moins proche de Bogota que de la guérilla
et de son allié vénézuélien Hugo Chavez dans l'espoir vain de hâter la libération de la "Franco-Colombienne" Ingrid betancourt. Excuses que devraient aussi
la famille Betancourt, qui aide peu Ingrid en tentant de dresser les médias européens contre l'actuelle démocratie colombienne, certes imparfaite.
Alfonso Cano a déjà négocié plusieurs fois
avec Bogota
Quant au second scénario optimiste, il repose sur la réputation
d'idéologue, de guérillero moins militaire que politique, accolée
au nouveau leader des FARC, Guillermo Leon Saenz, alias Alfonso Cano, tout
de même condamné par contumace à 40 ans de prison pour
exécution sommaire de 40 de ses propres guérilleros.
Sous réserve de possibles remous internes, ce barbu de 59 ans s'est
imposé à Jorge Briceño, alias el Mono Jojoy, chef de
l'aile militaire d'une guérilla dont le flanc politique, étayé
par diverses sympathies internationales et surtout vénézuéliennes,
est devenu sa bouée de sauvetage.
Quoique pétrie d'un communisme originel peu modéré,
la fibre politique d'Alfonso Cano, qui étudia l'anthropologie à
l'Université nationale de Colombie, pourrait faciliter
d'éventuelles négociations visant notamment à la libération
d'otages. Visant peut-être aussi, au risque plonger à nouveau
dans l'optimisme chimérique, à une réinsertion dans
le jeu politique de la guérilla qui abandonnerait enlèvements,
massacres et narcotrafic lui valant aujourd'hui l'étiquette, encombrante
même pour ses alliés idéologiques, d'organisation terroriste
aux yeux des 27 pays de l'Union européenne, des Etats-Unis et de la
Colombie.
Après tout, Alfonso Cano fut dans les années 1980 l'un des
promoteurs de la première expression politique légale des FARC,
l'Union patriotique. Mais à l'époque, la guérilla prétendait
jouer sur les deux tableaux à la fois, l'insurrection armée
et la représentation politique constitutionnelle. La réaction
fut brutale. Quelque 3.000 membres de l'Union patriotique, antenne alors
la plus exposée des FARC, tombèrent sous les balles de paramilitaires
et de sicaires.
Alfonso Cano participa aussi, à des degrés divers, à
trois négociations avec le gouvernement colombien, en 1991, puis en
1992 et enfin lors de la période dorée des FARC, lorsque de
1998 à 2002 le président Andres Pastrana crut utile pour la
paix de leur offrir dans la jungle méridionale du Caguan une zone
démilitarisée de 42.000 km² (la superficie de la Suisse), reconquise par l'armée après l'échec d'interminables pourparlers.
Coordination Continentale Bolivarienne
A l'époque du Caguan, Alfonso Cano fut l'un des précurseurs
en Colombie du Mouvement bolivarien, allié naturel du socialisme dit
bolivarien du président vénézuélien Hugo Chavez.
Aujourd'hui, le nouveau leader des FARC est l'un des présidents de
la Coordination Continentale Bolivarienne. Cette CCB crée dans plusieurs
pays latino-américains des cellules promouvant, sous le signe du socialisme
radical et antiaméricain cher à Hugo Chavez, l'Union de l'Amérique
du Sud tentée au 19e siècle par le libertador historique Simon
Bolivar.
Le conjonction Chavez-FARC est donc ancienne, profonde et ambitieuse, comme
le confirme le contenu, authentifié par Interpol, des ordinateurs
saisis le 1er mars par l'armée colombienne dans le camp bombardé
où succomba le nº2 de la guérilla, Raul Reyes.
Sincère ou non, Hugo Chavez a souligné plusieurs fois publiquement,
en parlant des FARC, que l'évolution politique régionale montre
que la gauche n'a plus besoin de brandir les armes pour conquérir
le pouvoir. Au sud de Panama, toute l'Amérique du Sud, à l'exception
de la seule Colombie, relève en effet aujourd'hui de gauches radicales
ou modérées installées par les urnes
Alors, Alfonso Cano bientôt président d'un parti bolivarien
colombien, légalisé après renoncement à la lutte armée et libération de tous les otages des FARC? La planète entière applaudirait. Mais
compte tenu des centaines de millions de dollars engrangés chaque année
par la guérilla marxiste grâce au narcotrafic, au racket d'entreprises
et au rançonnement des familles de séquestrés, il est
à craindre que la libération des plus de 700 otages des FARC
relèvera plutôt de la première hypothèse optimiste,
la déroute militaire complète des insurgés.
D'ici là, un accord partiel sera peut-être
négocié pour ne rendre la liberté qu'à 20 ou 30 otages, dont
Ingrid Betancourt, en échange de l'élargissement de guérilleros prisonniers et
éventuellement de concessions politiques peu glorieuses, par exemple l'élimination
des FARC de la liste des organisations terroristes tenue par l'Union européenne.
Auteur: Christian Galloy
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