Espagne: 76,7% de "oui" à la Constitution de l'UE, mais l'abstention est un signal d'alarme
|
Le socialiste Zapatero satisfait. Le "oui" l'a emporté. Mais,... Photo Inma Mesa-PSOE |
par Christian Galloy
Analyste politique
Directeur de LatinReporters.com
MADRID, lundi 21 février 2005 (LatinReporters.com) - Malgré
une abstention record de 57,68% -un signal d'alarme pour l'Union européenne
(UE)- le triomphe du "oui" (76,73%) au référendum de dimanche
entraînera la ratification de la Constitution européenne par
l'Espagne. Conséquence essentielle: le processus européen de
ratification constitutionnelle -il faut le "oui" unanime des 25 pays de l'UE-
reste sur les rails.
L'Espagne était le premier pays à soumettre à référendum
le projet constitutionnel européen, déjà ratifié
par voie parlementaire par la Lituanie, la Hongrie et la Slovénie.
Consultatif, le référendum espagnol débouchera aussi
sur une ratification parlementaire.
Le "oui" l'a emporté par 76,73 % des suffrages, contre 17,24% de "non"
et 6,03% de bulletins blancs. Le "oui" et surtout la participation au vote
étaient prônés par le Parti socialiste ouvrier espagnol
(PSOE) du président du gouvernement, José Luis Rodriguez Zapatero,
par le Parti populaire (PP, opposition conservatrice) et par l'aile modérée
du nationalisme basque et catalan, soit par des partis représentant
90% de l'électorat.
Mais à peine 42,32% des 34,6 millions d'électeurs espagnols
ont pris le chemin des urnes pour répondre à la question "Approuvez-vous
le Traité établissant une Constitution pour l'Europe?" ("Aprueba
usted el Tratado por el que se establece una Constitución para Europa?").
Les indépendantismes périphériques ont renforcé
le "non"
Cette participation est la plus faible de l'histoire de la démocratie
espagnole. Il s'agit d'un "échec personnel" du socialiste Zapatero
estime le conservateur Mariano Rajoy, président du PP. Le chef de
l'opposition reproche au dirigeant socialiste "d'avoir voulu être le
premier en Europe [à organiser un référendum sur la
Constitution de l'UE] pour des raisons partisanes", sans se soucier de la
préparation nécessaire à un tel référendum.
Quelque six millions d'exemplaires du projet constitutionnel européen
(sans ses annexes) et des millions de dépliants explicatifs avaient
néanmoins été distribués gratuitement plusieurs
semaines avant le scrutin.
Comme la presse espagnole, Mariano Rajoy rappelle que les principaux défenseurs
du "non" étaient les deux alliés parlementaires actuels des
socialistes de M. Zapatero: les écolos-communistes de la Gauche unie
(IU) et les indépendantistes républicains catalans (ERC). Ce
paradoxe pourrait avoir troublé un certain nombre d'électeurs.
Le coordinateur général de la Gauche unie, Gaspar Llamazares,
estime que la somme des "non" et des abstentions "prive le processus constitutionnel
européen de légitimité et de crédibilité
tant en Espagne qu'en Europe".
Le "non" à la Constitution européenne a presque doublé
la moyenne nationale au Pays basque (33,66%), en Navarre (29,22%) et en Catalogne
(28,07%). Les problèmes liés aux indépendantismes périphériques
qui agitent l'Espagne et qui reprochent à l'UE d'ignorer "les peuples
d'Europe" et leur "droit à l'autodétermination" viennent ainsi
de bénéficier d'une projection internationale que Bruxelles
ne pourra pas ignorer.
Les "non" sont aussi relativement élevés dans la région
de Madrid (19,39%). Le secrétaire à l'Organisation du PSOE,
José Blanco, numéro deux apparent du parti de M. Zapatero,
affirme que dans des quartiers de Madrid où les conservateurs du PP
sont très implantés, le "non" frôlerait et même
surpasserait parfois 30%. Des secteurs radicaux du PP auraient ainsi utilisé
le référendum pour émettre un vote-sanction contre le
gouvernement socialiste de M. Zapatero.
"Nous avons construit un pan d'histoire en Europe" ("Hemos hecho historia
en Europa") clame pour sa part José Luis Rodriguez Zapatero. Selon
lui, "nous [les Espagnols] avons eu l'honneur de voter la première
Constitution de l'histoire de l'Europe... Cela rend l'Espagne plus forte
en Europe et cela rend l'Europe plus forte aussi... Nous avons envoyé
[par la victoire du "oui"] un message au reste des citoyens européens.
Nous les invitons à suivre le chemin que nous venons de tracer".
Signal d'alarme, mais "Bravo et merci les Espagnols!"
Des responsables socialistes attribuent une part de l'abstention à
la tiédeur supposée des conservateurs à défendre
le "oui". Les mêmes responsables et des éditorialistes, pas
nécessairement favorables d'ordinaire à M. Zapatero, relèvent
par ailleurs que 42% de participation au référendum signifie
à peine trois points de moins qu'aux élections européennes
de 2004 en Espagne. Or, ces élections, ouvertes à la lutte
entre partis, étaient plus conflictuelles et donc plus mobilisatrices
qu'un référendum sur l'adhésion largement consensuelle
au projet constitutionnel de l'UE.
En outre, toujours selon les socialistes, une participation de 42% correspondrait
à la moyenne européenne lors de scrutins concernant l'Europe.
L´éditorialiste de l'influent quotidien madrilène El
Pais, très proche de M. Zapatero, regrette à ce propos "la
réalité crue d'une Europe toujours considérée
par de nombreux électeurs comme une entité politique et institutionnelle
éloignée de leurs intérêts directs, quoique la
réalité soit autre".
Autrement dit, au-delà de motifs propres aux Espagnols, l'abstention
massive au référendum de dimanche pourrait servir de signal
d'alarme à l'UE. Elle devrait populariser davantage son image.
Le président français Jacques Chirac a qualifié le "oui"
espagnol de "symbole fort" montrant "le chemin aux autres pays qui ratifieront
le traité [constitutionnel européen]". "L'impact positif" du
vote espagnol sur les autres pays de l'UE est également souligné
par le président de la Commission européenne, le Portugais
José Manuel Durao Barroso.
Les 25 pays de l'UE doivent ratifier la Constitution européenne avant
qu'elle n'entre en vigueur à la date prévue du 1er novembre
2006. La voie référendaire concerne dix pays: Espagne, France,
Portugal, Irlande, Danemark, Royaume-Uni, Pays-Bas, Luxembourg, Pologne et
République tchèque. Le référendum portugais aura
lieu en avril et le français en mai ou juin prochain.
L'un des principaux pères du projet constitutionnel européen,
l'ex-président français Valéry Giscard d'Estaing, s'est
écrié: "Bravo et merci les Espagnols!"
Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
ARTICLES ET DOSSIERS LIÉS
L'Espagne dira "oui" plus à l'UE qu'à sa Constitution, mais gare à l'abstention
Chirac, Zapatero, Constitution européenne et inciviques présumés
Espagne-référendum Constitution UE: l'Eglise légitime l'abstention
Dossier Espagne-UE
Dossier Espagne
Traité établissant une Constitution pour l'Europe
Tous les titres
|