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Socialiste et première Chilienne élue chef de l'Etat
Michelle Bachelet présidente du Chili: tsunami de gauche en Amérique latine?
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Michelle Bachelet www.michellebachelet.cl |
par Christian Galloy
Analyste politique Directeur de LatinReporters.com
SANTIAGO / MADRID, lundi 16 janvier 2006 (LatinReporters.com) - L'ample virage à gauche en
Amérique latine est conforté par la victoire, dimanche au Chili,
de la socialiste Michelle Bachelet au second tour de l'élection présidentielle.
On est loin cependant d'un front commun des gauches latino-américaines.
Dans leur tsunami, des vagues s'entrechoquent.
Michelle Bachelet a remporté dimanche 53,5% des suffrages, contre
46,5% au multimillionnaire Sebastian Piñera, premier candidat présidentiel
non pinochétiste de l'actuelle droite chilienne. Depuis la fin de la dictature
militaire d'Augusto Pinochet, en 1990, il s'agit de la 4e victoire consécutive, à
l'élection du chef de l'Etat, de la Concertation démocratique, coalition de centre gauche
réunissant socialistes, démocrates-chrétiens et radicaux.
Pédiatre de 54 ans, ex-ministre de la Santé et de la Défense,
fille d'un général mort dans les prisons de la dictature, agnostique
et mère de trois enfants de deux pères différents dont
elle est séparée -un profil qui reflète les bouleversements
sociaux du Chili- Michelle Bachelet sera
investie le 11 mars prochain.
Elle deviendra, pour un mandat de quatre ans, la première femme
présidente de son pays et la 6e de l'histoire de l'Amérique latine. Mais seules deux autres
avant elle avaient été choisies au suffrage universel, Violetta Chamorro
(présidente du Nicaragua
de 1990 à 1996) et Mireya Moscoso
(Panama, 1999-2004), deux
femmes relevant d'une droite démocratique.
Se succédant à elle-même, la Concertation démocratique
chilienne conforte plus qu'elle ne renforce la tendance lourde au virage
à gauche en Amérique latine. Cette évolution continentale
pourrait inciter Michelle Bachelet, plus revendicative que son prédécesseur
socialiste (le président sortant Ricardo Lagos), à adopter
des mesures relativement radicales contre les inégalités sociales.
La victoire du centre gauche au Chili succède au triomphe, le 18 décembre
dernier en Bolivie, de la gauche ethnique de l'Amérindien Evo Morales.
Des gauches diverses gouvernent aussi au
Venezuela, au
Brésil, en
Argentine, en
Uruguay et à
Cuba. Selon les sondages, cette tendance pourrait s'amplifier
en 2006 lors des élections présidentielles au Pérou
(le 9 avril), au Mexique (2 juillet),
en Equateur (15 octobre) et au
Nicaragua
(5 novembre). Réfractaire la plus notoire, la
Colombie devrait, toujours selon
les sondages, réélire au mois de mai son président conservateur
et pro-américain, Alvaro Uribe, confronté à la dernière
guérilla marxiste du continent.
Selon l'expression de l'analyste Andrés Oppenheimer, des vagues s'entrechoquent
dans l'apparent tsunami des gauches latino-américaines. Toutes résistent
à l'hégémonie des Etats-Unis, mais le degré de
cette résistance et d'autres facteurs les diversifient et parfois
les opposent. Les deux pôles contraires de cette gauche continentale
sont Cuba et le Chili.
Héritier des guérillas nourries au siècle dernier par
la guerre froide entre les Etats-Unis et l'URSS, le Cubain Fidel Castro est aujourd'hui
l'unique chef d'Etat des Amériques à refuser le pluralisme
politique et la démocratie représentative. Le Chili de Michelle
Bachelet et de la Concertation démocratique relève pour sa
part d'une social-démocratie de type européen, gestionnaire
de l'économie de marché et liée par des accords de libre-échange
tant aux Etats-Unis qu'à la Chine et à l'Union européenne.
A Santiago, l'antiaméricanisme est absent du discours officiel.
Entre ces deux pôles, le Brésil, l'Argentine et l'Uruguay sont
également gouvernés par des gauches gestionnaires du libre
marché, mais plus marquées -surtout à Buenos Aires et
Brasilia- par une ambition d'intégration économique prioritairement
sud-américaine, préférée à un libre-échange
continental que dominerait Washington. Ces trois pays considèrent
toutefois encore les Etats-Unis comme un partenaire économique indispensable.
Au Venezuela, la gauche "bolivarienne" du président Hugo Chavez mise
aussi sur le "sud-américanisme". Sans nationaliser tous azimuts, Caracas
réintroduit le rôle dominant de l'Etat dans l'économie
et tient un discours idéologique et antiaméricain calqué
sur celui de La Havane. Les richesses pétrolières du Venezuela
accroissent son influence régionale. La Bolivie d'Evo Morales et ses
réserves de gaz naturel vont renforcer le camp "bolivarien" et antiaméricain.
La diversité des gauches au pouvoir en Amérique latine passe
aussi par des clivages militaristes (Cuba et Venezuela), nationalistes (Venezuela,
Bolivie et Argentine) et ethniques (Bolivie et Venezuela). Les visions nationalistes
et ethniques s'accommodent néanmoins souvent d'un horizon régional
sud-américain.
Par ailleurs, quelle que soit l'idéologie en place, plusieurs
pays d'Amérique du Sud maintiennent avec leurs voisins des disputes territoriales,
sources de tension diplomatique et parfois militaire. Le Chili a de tels différends avec la
Bolivie et le Pérou (celui avec l'Argentine dans la zone du Canal de Beagle est en
principe résolu depuis 1984). Entre le Pérou et l'Equateur, ainsi qu'entre le Venezuela
et la Colombie, des problèmes frontaliers restent latents.
En outre, s'inscrivant dans une constante de la politique étrangère de Brasilia, le
président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva a, comme ses prédécesseurs centristes et de droite, l'ambition de faire du Brésil la puissance de référence en Amérique du Sud. Une ambition qui irrite notamment et surtout l'Argentine.
Les nouvelles gauches du Venezuela, de Bolivie et d'Argentine
ont été précédées, à des époques
diverses, de gauches "classiques", la plupart membres de l'Internationale
socialiste. Elles avaient échoué dans leur gestion, au même
titre que les dictatures militaires (quoique le Chili maintienne de grands
axes du pinochétisme économique) et que les gouvernements néolibéraux.
Obligeant les Etats-Unis à s'interroger sur le déclin de leur
influence dans un sous-continent qui fut leur "arrière-cour", l'arrivée
au pouvoir de gauches nouvelles ne sera pas nécessairement un phénomène
exclusivement latino-américain. Ainsi, après le "non" de la
France et des Pays-Bas au projet de Constitution européenne, on observera par exemple
avec intérêt le score du leader paysan et altermondialiste José
Bové s'il était candidat -il en soupèse l'opportunité- à
l'élection présidentielle française de 2007.
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