Absence des présidents Uribe (dissuadé) et Chavez (peu intéressé) Entre Colombie et Venezuela, la "paix sans frontières" de Juanes électrise 100.000 jeunes
BOGOTA, lundi 17 mars 2008 (LatinReporters.com) -
Electrisés, quelque cent mille jeunes Colombiens et Vénézuéliens,
mêlés d'une minorité d'Equatoriens, ont chanté
et dansé le 16 mars au rythme de sept idoles du show-business ibéro-américain
lors du concert "Paix sans frontières" organisé par
le chanteur colombien Juanes autour d'un pont reliant la Colombie au Venezuela.
Quinze jours plus tôt, ces deux pays semblaient au bord de la guerre.
Devant 100.000 Colombiens et Vénézuéliens, sur
le pont frontalier Simon Bolivar, la star colombienne Juanes chante "A Dios
le pido". Il est l'organisateur de ce concert "Paix sans frontières" - 6min 27sec
Pendant une semaine, une grave crise diplomatique,
dramatisée par des mouvements de troupes, opposa Bogota à Caracas
et Quito après l'attaque, le 1er mars en territoire équatorien,
d'un camp de la guérilla des FARC (Forces armées révolutionnaires
de Colombie) où l'armée colombienne tua le chef guérillero
Raul Reyes et une vingtaine d'autres rebelles. Allié idéologique
des FARC, le président vénézuélien Hugo Chavez
menaça d'entrer en guerre contre la Colombie si elle lançait
une opération similaire au Venezuela.
"C'est le début d'une nouvelle ère. Ici, pas de différences politiques ni raciales
ni de religion. Aujourd'hui nous ne faisons qu'un, nous sommes des frères"
prêchait dimanche après-midi Juanes, acclamé par la multitude
concentrée sous plus de trente degrés au soleil sur les rives et le lit partiellement
asséché de la rivière Tachira. L'évaluation
de 100.000 personnes est une moyenne entre diverses estimations.
Du haut du podium dressé au centre des 315 mètres du pont frontalier
Simon Bolivar, trait d'union entre les villes de Cucuta (nord-est de la Colombie)
et San Antonio (ouest du Venezuela), Juanes faisait retentir son fameux "A
Dios le pido" (A Dieu je lui demande). "Pour les enfants de mes
enfants et les enfants de tes enfants, à Dieu je lui demande que mon peuple
ne verse pas tant de sang" dit cette supplique au rythme d'enfer.
Avant de clore trois chansons plus loin le concert par son succès
universel "Camisa negra", Juanes s'adressait aux trois chefs d'Etat
impliqués dans la crise provisoirement refroidie: "Avec tout notre amour et notre respect, ce serait sympa d'envoyer un message spécial
au président [colombien Alvaro] Uribe, au président
[vénézuélien Hugo] Chavez, au président
[équatorien Rafael] Correa, pour leur dire qu'aujourd'hui nous
sommes là. Nous sommes tous des citoyens qui croyons que le futur
d'un pays ne concerne pas seulement un président, un gouvernement,
mais nous tous. Nous faisons partie du mouvement des citoyens".
Six autres chanteurs "chanceliers de la paix", selon l'expression
de Juanes, vêtus de blanc comme lui et comme la plupart de la foule,
l'avaient précédé pendant les trois heures de ce concert
exceptionnel gratuit, retransmis en direct par des chaînes privées
en Colombie, au Venezuela, en Equateur et dans plusieurs autres pays latino-américains.
Via Internet, il était accessible, en direct aussi, à la planète
entière.
Successivement, Carlos Vives, roi colombien du vallenato, genre musical très
prisé dans la région, l'Equatorien Juan Fernando Velasco, les
Espagnols Alejandro Sanz et Miguel Bosé, le Dominicain Juan Luis Guerra
et le Vénézuélien Ricardo Montaner se sont partagé
les ovations entre chansons et slogans pacifistes.
Carlos Vives a appelé au "retour à la maison" des otages
de la guérilla des FARC. "Nous rêvons que les séquestrés,
policiers et militaires, rentrent chez eux... Toute notre énergie
est pour eux" a-t-il dit à la foule. Le nom de la Franco-Colombienne
Ingrid Betancourt, la plus célèbre otage des FARC, n'a été
prononcé ni par Carlos Vives ni par aucune autre vedette du concert.
"Je viens d'un pays petit, mais qui aime la paix... Vous êtes la
voix, vous êtes le mandat qui exige la paix" lançait à
la multitude l'Equatorien Juan Fernando Velasco. Il se veut à la fois
"né ici [en Colombie], né au Venezuela, né
en Equateur, car il n'y a pas de frontières".
L'Espagnol Alejandro Sanz, empêché récemment de se produire
au Venezuela pour avoir critiqué Hugo Chavez dans le passé,
s'est dit convaincu que "l'histoire se construit aujourd'hui sur cette
frontière, avec un message clair: nos peuples veulent la paix".
Son compatriote Miguel Bosé a affirmé, mais en attribuant l'idée
à Juanes, que "toutes les Constitutions devraient inclure le droit
à vivre en paix". A la question d'une journaliste lui demandant
sur le podium quand il donnerait un récital au Venezuela, il a répondu:
"Quand on me le permettra, mais je ne veux pas polémiquer
en ce jour de paix". Le pro-socialiste Miguel Bosé serait donc
aussi en froid avec la révolution bolivarienne.
Poétisant pour sa part la "paix sans frontières", le
Vénézuélien Ricardo Montaner a invité par ces
mots la multitude à lever les yeux: "Si vous regardez maintenant
tous le ciel, vous verrez que cet après-midi Jésus-Christ est
en train de sourire".
On avait spéculé sur une embrassade des présidents Alvaro
Uribe et Hugo Chavez magnifiant leur réconciliation au milieu du pont
pendant le concert. Aucun d'eux n'est venu.
A l'instar du président équatorien Rafael Correa, le Vénézuélien
Chavez, absorbé par sa harangue dominicale radio-télévisée,
n'a manifesté aucun intérêt débordant pour l'événement.
Par contre, le Colombien Uribe prétendait y assister avec ministres
et état-major militaire. Comme le reconnaît un communiqué
présidentiel, il en a été dissuadé par Fernan
Martinez, manager de Juanes, au nom de la neutralité des organisateurs
du concert. La présence du chef d'Etat colombien aurait, en l'absence
de ses homologues du Venezuela et de l'Equateur,
"déséquilibré le concert et lui aurait donné
une teinte politique, Uribe en devenant la vedette" explique Fernan Martinez.
En six ans de présidence, Alvaro Uribe ne se sera laissé intimider
ni par Hugo Chavez ni par la guérilla marxiste des FARC, mais seulement
par Juanes et ses "chanceliers de la paix". De quoi élargir
le sourire de Jésus-Christ...