L'attentat privera-t-il le socialiste Zapatero d'une victoire attendue?
Espagne: l'ETA tue à la veille des législatives. Vote altéré?
Par Christian GALLOY, directeur de LatinReporters
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"ETA vote en tirant dans la nuque et la terreur marque
à nouveau les élections" titre ABC sur la photo
de José Luis Rodriguez Zapatero (centre) au moment où le président de
l'Andalousie, Manuel Chaves, l'avertit de l'attentat lors d'un meeting à Malaga. Dans le petit
encadré, la victime de l'attentat, Isaias Carrasco.
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MADRID, samedi 8 mars 2008 (LatinReporters.com) -
L'attentat perpétré vendredi à Mondragon par les indépendantistes
basques de l'ETA privera-t-il le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero
de sa victoire attendue aux élections législatives du dimanche
9 mars? A la veille des législatives de 2004, les attentats islamistes
de Madrid ravirent une victoire annoncée au conservateur Mariano Rajoy.
C'est à nouveau le duel Zapatero-Rajoy que 35 millions d'électeurs
espagnols sont appelés à arbitrer.
Cinq coups de revolver, vendredi, au travers du pare-brise de sa voiture
lorsqu'il partait au travail sous les yeux de sa femme et de l'un de ses trois
enfants... Touché à la tête, au coup et à la poitrine,
un ex-conseiller municipal socialiste de la petite ville basque de Mondragon,
Isaias Carrasco, 42 ans, mourait peu après son hospitalisation. Il était un modeste
employé d'un péage autoroutier. Son meurtrier a fui dans le véhicule d'un
complice. Sans besoin de revendication, tous les partis politiques d'Espagne ont attribué
l'attentat à l'ETA.
Le visage de José Luis Rodriguez Zapatero s'est
figé au moment où le président de l'Andalousie, Manuel
Chaves, l'avertissait de l'attentat lors d'un meeting à Malaga, à
l'autre bout du pays. Les Andalous élisent à la fois leurs députés
régionaux et nationaux. Le chef du gouvernement socialiste prenait
aussitôt l'avion pour Madrid, le temps d'une déclaration institutionnelle,
puis pour le Pays basque. Télévisions et radios bousculaient
leurs programmes par de longs directs sur le drame et les réactions.
La campagne électorale était suspendue. Les meetings de clôture
du vendredi soir ont été annulés.
"L'organisation terroriste ETA a voulu interférer sur la manifestation
pacifique de la volonté des citoyens convoqués aux urnes. Mais
la démocratie espagnole a déjà démontré
qu'elle n'admet pas les défis de ceux qui combattent ses valeurs essentielles"
clamait solennellement à Madrid M. Zapatero. Selon lui, "l'ETA est
déjà vaincue par la démocratie, répudiée
et isolée par l'ensemble des Espagnols et par la société
basque. Elle n'a d'autre destin que sa disparition et ses membres n'ont d'autre
futur que la prison". Plus tard, à Mondragon, il exprimait son
"horreur vomitive" devant l'assassinat "de sang-froid d'un travailleur
honnête".
Comme son rival socialiste, Mariano Rajoy, président du Parti Populaire
(PP, droite), appelle à l'unité contre l'ETA, qu'il faut "vaincre
par les instruments de l'Etat de droit, les forces de sécurité
et l'incorruptible volonté des 45 millions d'Espagnols qui forment
une grande nation appelée Espagne".
Au Pays basque, le lehendakari (président régional) Juan José
Ibarretxe, nationaliste dit modéré qui a promis néanmoins
un référendum souverainiste en octobre, accuse l'ETA d'avoir
"perdu définitivement le Nord". "Nous voulons dire directement à
l'ETA: n'utilisez plus jamais le nom du peuple basque pour justifier vos
crimes" martèle-t-il.
Vendredi soir au centre de Madrid, Plaza de Colon, M. Zapatero a été
insulté par une partie du millier de personnes rassemblées à la
hâte par le Foro Ermua, association de défense de la démocratie et de la
loyauté institutionnelle face au terrorisme. L'attentat a fait remonter le souvenir des
longues, polémiques et inutiles négociations dites de paix menées par les
socialistes avec l'ETA en 2006 et 2007.
Le Parti Populaire accusé d'utiliser politiquement l'attentat
Et alors que tous les partis politiques représentés au Parlement,
les organisations patronales et les syndicats venaient de signer ensemble
un communiqué commun appelant, face à l'ETA, à faire
des élections de dimanche "une nouvelle victoire de la liberté",
cette unité enfin retrouvée était aussitôt relativisée
par le PP. Son secrétaire à la Justice et Sécurité,
Ignacio Astarloa, regrettait le refus opposé par les autres signataires
à l'inclusion dans le communiqué de deux points: refus définitif
de toute négociation qui signifierait payer un prix politique à
l'ETA et dérogation de la résolution parlementaire qui autorisa
en 2005 le gouvernement de M. Zapatero à dialoguer avec les terroristes
basques.
Pour les électeurs, peu nombreux, qui l'auraient oublié, la
droite rappelle ainsi à la veille des législatives et avec le
haut-parleur offert par l'assassinat d'Isaias Carrasco que le PP fut le seul à s'opposer au processus dit de paix de M. Zapatero. Ce dernier a en outre la malchance que la municipalité de Mondragon soit aux mains de l'Action Nationaliste Basque (ANV), un parti proche de
l'ETA, autorisé par le gouvernement à se présenter aux
élections municipales de mai 2007 dans un dernier geste pour tenter
de mettre les terroristes sur le chemin de la paix. La mairesse de Mondragon
et les conseillers municipaux de l'ANV se sont déclarés en
congé jusqu'au début de la semaine prochaine pour éviter
d'honorer Isaias Carrasco. La chapelle ardente du malheureux, abattu pour être socialiste,
a été installée dans la mairie à la requête insistante de sa
famille.
L'influent quotidien pro-socialiste El Pais attaque durement samedi le PP.
"Comme s'il s'agissait d'une malédiction, à la douleur de
l'assassinat de l'ex-conseiller municipal socialiste Isaias Carrasco s'ajoute
une fois de plus, provoquant stupéfaction et rage de nombreux citoyens,
l'incapacité de certains politiciens d'être à la hauteur
des circonstances. Comme en 2004, le PP voit en l'attentat la possibilité
d'affaiblir le rival et d'obtenir des avantages électoraux" commente
l'éditorialiste d'El Pais. Sa critique rappelle implicitement que le
PP tenta (du moins aux dires de ses adversaires) de cacher l'origine islamiste
des attentats de Madrid de mars 2004 (191 morts et 1.856 blessés),
les attribuant à l'ETA dans l'espoir vain que, trois jours plus tard,
aux législatives, les électeurs ne cherchent pas à punir
la droite, alors favorite des sondages, pour l'impopulaire participation de
l'Espagne à la guerre en Irak.
S'interrogeant sur les conséquences électorales de l'attentat
de Mondragon, l'éditorialiste d'El Mundo (centre droit) écrit:
"Si les résultats [des législatives du 9 mars] diffèrent
des pronostics des sondages, la polémique sera servie... Certains verront
en l'assassinat de Carrasco la preuve évidente que le président
du gouvernement [M. Zapatero] n'a pas cédé face à
une organisation terroriste qui maintenant lui passe facture. Mais il y a
place aussi pour l'interprétation contraire, à savoir que le
crime est la constatation que M. Zapatero s'était trompé en
négociant avec l'ETA, encourageant des espoirs basés sur l'ignorance
de la nature de la bande et offrant des concessions qui se retournent maintenant
contre lui, comme la présence dans les institutions du PCTV [Parti
Communiste des Terres Basques, autre "filiale" politique de l'ETA] et de
l'ANV".
Par décision judiciaire rendue déjà début février,
aucun parti proche de l'ETA n'a été autorisé à
présenter des listes aux législatives de dimanche. L'organisation
séparatiste a appelé les Basques à l'abstention.
Souvent contredits par les urnes en Espagne, les sondages y sont interdits
de publication la semaine précédant une élection. Détournant
cette interdiction, le journal catalan El Periodico a ouvert à Andorre
une page Internet qui publie un sondage quotidien. Celui de ce samedi (diffusé à 12h; un ultime le sera à 23h30) offre
au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de José Luis Rodriguez
Zapatero 43% des intentions de vote et une fourchette de 162 à 166
députés sur un total de 350, soit un résultat quasi identique
à celui des législatives de 2004. En léger progrès
par rapport à 2004, mais toujours devancé, le Parti Populaire
de Mariano Rajoy est crédité de 39% et de 154 à 158
députés. L'attentat pourrait accroître dimanche la participation
au scrutin, ce qui en principe favoriserait la gauche.
El Pais relève que depuis les premières élections démocratiques
de l'après-franquisme, en juin 1977, 221 personnes ont été
assassinées en Espagne par des groupes terroristes lors de campagnes
électorales. A ce propos, El Mundo croit que "la démocratie espagnole devrait
avoir des mécanismes de report d'élections en cas d'attentats
terroristes prétendant altérer la volonté des citoyens".
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