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Bolivie: Rodriguez président, élections anticipées et retour au calme incertain
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Le président par intérim Eduardo Rodriguez à la une de la presse bolivienne |
LA PAZ, vendredi 10 juin 2005 (LatinReporters.com) - La prochaine convocation
d'élections anticipées a été annoncée
par le nouveau président de la Bolivie, Eduardo Rodriguez, lors de
son investiture parlementaire, jeudi peu avant minuit dans la ville de Sucre.
Il a souhaité la "récupération" des hydrocarbures. Leur nationalisation
est la principale revendication des manifestants qui ont bloqué le pays pendant trois
semaines et forcé la démission du désormais ex-président
Carlos Mesa.
Troisième chef de l'Etat en moins de deux ans, Eduardo Rodriguez,
49 ans, avocat formé à Harvard, était le président de
la Cour suprême de Justice. Il n'a pas fixé la date du retour
aux urnes. Les mois de septembre ou, au plus tard, décembre sont cités par les
observateurs politiques. L'intérim de M. Rodriguez, qui ne pourra pas et n'envisage
pas d'être candidat, prendra fin dès l'élection d'un
nouveau chef de l'Etat.
Le dirigeant indien Evo Morales, principal stratège des derniers grands
mouvements de protestation, sera l'un des favoris de la prochaine présidentielle.
Il avait frôlé la victoire en 2002 et son Mouvement vers le
socialisme (MAS, deuxième force parlementaire) remportait les élections
municipales en décembre dernier. Proche de Fidel Castro et du président
vénézuélien Hugo Chavez, Evo Morales est depuis plusieurs
années la cible de l'hostilité des Etats-Unis.
Il est toutefois le moins radical des grands acteurs de la "prérévolution"
(dixit Morales) lancée en 2003 d'abord pour empêcher l'exportation
de gaz naturel bolivien vers l'Amérique du Nord via le Chili, puis,
aujourd'hui, pour réclamer la nationalisation du gaz et du pétrole
boliviens, le gel du processus d'autonomie des riches départements
orientaux et la convocation d'une Assemblée constituante pour réviser
une Constitution peu généreuse envers les populations de souche
autochtone.
Les autres "tombeurs" de deux présidents depuis 2003 sont Abel Mamani,
chef de la Fédération des comités de quartier (Fejuve)
de la ville d'El Alto, banlieue ouvrière de La Paz, et Jaime Solares,
leader de la Centrale ouvrière bolivienne (COB). Le premier veut mettre
sa ville de 700.000 habitants sous la coupe d'une "Assemblée nationale
populaire" ne reconnaissant ni gouvernement ni partis. Le second en appelle
ouvertement à un coup d'Etat militaire de gauche.
Le radicalisme antisystème d'Abel Mamani et de Jaime Solares pourrait
se heurter aux conceptions réformistes d'Evo Morales, dont la "prérévolution" qu'il met au service de "la libération des peuples indigènes" et de la lutte contre "l'exploitation économique, l'oppression politique
et l'aliénation culturelle" s'accommode néanmoins du système
démocratique parlementaire.
Si le climat semblait se détendre vendredi, Evo Morales accordant une "trêve" au
nouveau président, il n'est donc pas sûr que les manifestations, les barrages
routiers et l'occupation de champs gaziers et pétrolifères disparaissent
durablement.
C'est Evo Morales, toujours lui, qui a forcé l'investiture d'Eduardo
Rodriguez, court-circuitant dans la succession constitutionnelle à
la présidence tant le président du Sénat, Hormando Vaca
Diez, que le président de la Chambre des députés, Mario
Cossio, considérés par le leader indien comme trop liés
à la "politique néolibérale traditionnelle". Le Mouvement de la gauche
révolutionnaire (MIR) de M. Vaca Diez représente pourtant la Bolivie
au sein de l'Internationale socialiste.
Les milliers de mineurs armés de bâtons de dynamite qui marchaient
jeudi sur la ville de Sucre à l'appel d'Evo Morales -au prix d'un
mort et 4 blessés lors de heurts avec l'armée- ont convaincu
les présidents du Sénat et de la Chambre que leur renonciation
à la succession présidentielle était le prix de l'espoir
d'un apaisement. Des observateurs qualifient cette pression et cette issue
de "putsch civil".
S'exprimant en kaki de combat devant les médias, les chefs de l'armée
bolivienne se disaient, jeudi à La Paz, "en alerte maximale" et prêts
à "défendre la démocratie". A Santa Cruz, El Alto et
La Paz, 14.000 soldats au total ont été mobilisés pour
empêcher tout débordement grave. A Santa Cruz, le général
Tomas Peña y Lillo dit avoir été averti du risque de
dynamitage de ponts et de puits d'hydrocarbures.
Dans son discours d'investiture, se référant explicitement aux hydrocarbures,
le président par intérim Eduardo Rodriguez a exhorté le Parlement à
"récupérer ce que la nature et Dieu ont donné à ce pays". S'agit-il
d'un encouragement à la nationalisation exigée par Evo Morales et ses
alliés? C'est en tout cas aussi un rappel implicite qu'en ce domaine, constitutionnellement, la
décision revient aux sénateurs et députés.
Les mineurs experts en dynamite et l'Assemblée nationale populaire d'El Alto
accepteront-ils cette soumission à une Constitution non encore révisée? Il
serait plus facile de les convaincre si un quart de siècle après son retour
à la démocratie parlementaire, la Bolivie ne comptait pas
toujours 63% de pauvres, un pourcentage quasi identique à celui de sa population
d'origine amérindienne.
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