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La guérilla met à profit l'attention internationale sur le sort de ses otages
Colombie - FARC aux "gouvernements du monde": reconnaissez-nous comme "belligérant"
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Raul Reyes, porte-parole et nº2 de l'état-major des FARC Photo ANNCOL | |
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BOGOTA,
jeudi 6 septembre 2006 (LatinReporters.com) -
S'estimant "option de pouvoir",
la guérilla marxiste colombienne des FARC invite les "gouvernements
du monde" à lui octroyer un "statut de belligérant" et à ne plus la qualifier
de terroriste. Cette demande de reconnaissance internationale intervient alors qu'une médiation
du président vénézuélien Hugo Chavez accroît
l'attention et l'espoir quant au sort d'otages des FARC, dont la Franco-Colombienne
Ingrid Betancourt.
Publiée le 6 septembre par l'agence pro-guérilla ANNCOL sous
forme de lettre ouverte "aux représentants des gouvernements du monde",
la requête des FARC-EP (Forces armées révolutionnaires
de Colombie - Armée du peuple) est signée par leur nº2,
Raul Reyes, en sa qualité de "chef de la Commission internationale"
de l'organisation insurgée.
"Nous nous dirigeons à vous, Présidents, Premiers ministres
et Chefs d'Etat, pour vous inviter à contribuer à la construction
de la paix avec justice sociale en Colombie en reconnaissant le statut de
belligérance que notre organisation de guérilla, les FARC-EP,
a conquis en plus de quarante ans de résistance et de lutte pour les
droits du peuple colombien" écrit Raul Reyes.
"Nous croyons, en tant que révolutionnaires, en la possibilité
de trouver une issue politique à cette guerre qui fait perdre son
sang à la Colombie" poursuit-il avant de critiquer durement "l'appui
financier et militaire des Etats-Unis" au président colombien Alvaro Uribe,
dont le gouvernement serait rongé par "le paramilitarisme et le narcotrafic".
"Il est nécessaire, aujourd'hui plus que jamais, que les gouvernements
du monde, en fonction des principes du respect de l'autodétermination
et de la souveraineté nationale, interviennent dans cette affaire"
affirme le chef rebelle. A ses yeux, "la participation de la communauté
internationale à la recherche d'une paix véritable pour la
Colombie" se justifierait aussi par la nécessité d'empêcher
"que triomphe l'unilatéralisme de l'actuel gouvernement des Etats-Unis".
"Il n'y a pas de démocratie où existe la misère ni de
paix où règne l'oppression" clame Raul Reyes avant de rejeter
l'appellation de "terroristes" appliquée aux FARC. Il définit
cette guérilla comme "organisation politico-militaire soulevée
en armes contre la violence officielle et à la recherche de profondes
transformations sociales... de la Grande patrie et du socialisme".
"Ce caractère de force révolutionnaire qui se profile en option
de pouvoir, c'est-à-dire de force belligérante, nous a été
reconnu de fait plus d'une fois par divers gouvernements nationaux avec lesquels
nous avons dialogué... et par les gouvernements des pays qui ont joué
le rôle de garant ou de médiateur...".
"Nous sommes sûrs que votre collaboration à la paix en
Colombie sera un geste de dimensions historiques pour la paix mondiale" conclut
Raul Reyes à la fin de sa lettre ouverte aux "représentants
des gouvernements du monde".
Remarques et commentaires (LatinReporters) :
La reconnaissance formelle -et non de fait le temps de diverses négociations
qui n'ont encore jamais abouti- d'un statut de force belligérante,
régi par le droit de la guerre, conférerait à la guérilla
des FARC une sorte de reconnaissance internationale, une respectabilité.
L'échange dit humanitaire proposé depuis longtemps sous condition
par les FARC de quelques dizaines de leurs otages (choisis pour leur poids
politique parmi des centaines d'autres), dont Ingrid Betancourt, contre les
quelque 400 ou 500 guérilleros emprisonnés s'inscrit dans cette
recherche de reconnaissance par l'internationalisation du dossier. La France,
la Suisse et l'Espagne, ainsi que depuis peu le Venezuela, sont actuellement
des médiateurs acceptés par les FARC et le gouvernement colombien
pour tenter de débloquer l'échange humanitaire.
L'implication personnelle dans les efforts de médiation du président
français Nicolas Sarkozy et celle plus visible encore du chef d'Etat
vénézuélien Hugo Chavez, reçu le 31 août
dernier à Bogota pour en débattre avec son homologue colombien
Alvaro Uribe, peuvent logiquement convaincre les FARC que le moment actuel
est particulièrement propice à une requête auprès
de la communauté internationale.
La requête des FARC de reconnaissance d'un statut de force belligérante,
accompagnée d'un appel à n'être plus considérées
comme terroristes (qualification que leur appliquent les Etats-Unis, l'Union
européenne et la Colombie) se produit avant tout échange humanitaire,
alors que cette reconnaissance pourrait n'être que l'une des conséquences
logiques de l'échange. Les FARC donnent en fait l'impression de vouloir
percevoir par anticipation leur bénéfice politique, voire d'en
faire une condition préalable de plus à l'échange humanitaire
sans même que l'on connaisse l'état des otages. "Sans preuve
de vie, les FARC ne sont plus des partenaires crédibles" déclarait
mercredi à Paris Fabrice Delloye, premier mari d'Ingrid Betancourt
et père de ses deux enfants.
Le droit de la guerre et le droit humanitaire international -qui
prohibent notamment la prise d'otages et l'agression
de personnes civiles- doivent être respectés par une force dite belligérante.
Mais ce respect n'est pas jusqu'à présent l'une des caractéristiques
des FARC. Des rapports d'Amnesty International et d'Human Rights Watch en
témoignent, accusant notamment les FARC de crimes contre l'humanité
parfois comparables à ceux commis par les paramilitaires colombiens.
C'est précisément après avoir perpétré,
en mai 2002, le pire massacre de civils en quatre décennies de conflit
que les FARC furent inscrites par l'Union européenne sur la liste
des organisations terroristes. (Sur ce massacre, voir
www.latinreporters.com/colombiebojayaeglise.html
et www.latinreporters.com/colombiepol060502.html).
Il est étonnant qu'un appel aux "gouvernements du monde" soit lancé
par Raul Reyes, nº2 et porte-parole international des FARC, mais non
par le chef historique de cette guérilla, Manuel Marulanda Velez (alias
Tirofijo, de son vrai nom Pedro Antonio Marin). Ce dernier frôle en principe aujourd'hui les 80 ans
et, si on excepte de rares témoignages qu'on souhaiterait plus convaincants,
le commun des mortels ne l'a plus vu publiquement en chair et en os depuis
2002, pas plus d'ailleurs qu'Ingrid Betancourt, apparue pour la dernière
fois sur une vidéo diffusée le 30 août 2003. C'est Manuel
Marulanda qu'Hugo Chavez voudrait recevoir à Caracas comme représentant
des FARC dans le cadre de la médiation vénézuélienne.
A propos de "l'option de pouvoir" que seraient les FARC aux dires de Raul
Reyes, ce dernier surprenait en acceptant pour la première fois, dans
une interview publiée le 27 août dernier par le quotidien argentin
Clarin, que le mouvement rebelle, en principe marxiste-léniniste,
puisse éventuellement participer à "un gouvernement social-démocrate" que
conduirait le PDA (Polo Democratico Alternativo, opposition de gauche). Carlos
Gaviria, président du PDA et second, avec 22% des voix, de l'élection
présidentielle de mai 2006 remportée à la majorité
absolue par le conservateur Alvaro Uribe, a répondu à Raul
Reyes que la première condition pour que les FARC puissent s'insérer
dans la vie politique démocratique colombienne serait d'abandonner
les armes.
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