La presse officielle ignore la libération d'opposants à Castro
Cuba - Raul Rivero libre: les dissidents, monnaie de politique extérieure
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Raul Rivero - © IPI |
LA HAVANE / MADRID, mercredi 1er décembre 2004 (LatinReporters.com)
- Ni Granma, quotidien du comité central du Parti communiste
cubain, ni Juventud Rebelde ni Trabajadores, aucun organe de la presse officielle
cubaine, la seule tolérée sur l'île de Fidel Castro,
ne mentionnait ce mercredi la soudaine libération d'opposants au régime,
dont le poète et journaliste Raul Rivero, icône de la dissidence.
En récompensant les manoeuvres de l'Espagne visant à lever
des sanctions diplomatiques de l'Union européenne (UE) contre Cuba
, cette libération -certes bienvenue- transforme de facto les dissidents
en monnaie de politique extérieure.
"Je t'en libère une poignée. Personne ou presque n'en saura
rien à Cuba. En échange, tu continues à me
refaire une virginité politique auprès de tes associés
européens, qui pourraient devenir d'excellents partenaires commerciaux. Ce troc
élargira ton auréole internationale et, dans la foulée, tu seras applaudi
par l'électorat de gauche qui t'a porté au pouvoir en Espagne".
Tel est le discours que tout adversaire acharné de Fidel Castro prêterait
volontiers au leader cubain en imaginant qu'il s'adresse au président du gouvernement
espagnol, le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero.
Le chef de la diplomatie espagnole, le ministre Miguel Angel Moratinos, et
son ambassadeur à La Havane, Carlos Alonso Zaldivar, annonçaient
en octobre dernier qu'ils travaillaient à la levée de sanctions
diplomatiques, qu'ils estiment inefficaces, prises en juin 2003 par l'UE
contre Cuba.
Décrétées après l'emprisonnement de 75 dissidents
et l'exécution de 3 hommes qui avaient détourné une embarcation touristique
pour tenter de gagner les Etats-Unis, ces sanctions ne sont que des mesures de pression
morales. Toujours en vigueur, elles consistent notamment à limiter
les visites gouvernementales européennes de haut niveau, à
réduire la participation de pays de l'UE à des événements
culturels cubains et à inviter lors de dates significatives des dissidents
anticastristes dans les ambassades européennes. En réaction,
les ministres cubains ont coupé depuis dix-huit mois le contact avec
la plupart des diplomates de l'UE en poste à La Havane.
Moratinos et Hugo Chavez
Le ministre cubain des Affaires étrangères, Felipe Perez
Roque, annonçait le 25 novembre dernier la normalisation des contacts
diplomatiques avec l'ambassade d'Espagne "comme résultat du processus
engagé" au sein de l'UE par le gouvernement espagnol, "en particulier
par le ministre Moratinos".
Ce dégel a été favorisé par un rapprochement
bruyant entre l'Espagne et le Venezuela du président Hugo Chavez,
principal allié et premier partenaire commercial de Cuba. Reçu
à Madrid du 22 au 24 novembre, le président Chavez approuva
le ministre socialiste Moratinos qui venait de mettre à profit cette visite pour
accuser publiquement l'ex-chef du gouvernement espagnol, le conservateur José Maria
Aznar, d'avoir appuyé le putsch manqué d'avril
2002 au Venezuela.
A l'époque, pourtant, les socialistes espagnols et à leur tête l'ancien
président du gouvernement Felipe Gonzalez s'étaient montrés satisfaits
de la mise à l'écart de Hugo Chavez (que l'Internationale socialiste
apprécie peu), sans prévoir la restauration de son
pouvoir après trois jours d'incertitude. La majorité des
éditorialistes madrilènes en critique d'autant plus, depuis une semaine,
le dérapage du ministre espagnol des Relations
extérieures, Miguel Angel Moratinos, lui reprochant d'avoir noirci son propre pays
pour nuire à l'opposition conservatrice.
Lundi et mardi, le gouvernement castriste libérait cinq opposants,
dont le plus célèbre des dissidents emprisonnés, Raul
Rivero, condamné en avril 2003 à 20 ans de prison après
un jugement sommaire. Les observateurs s'attendent à de nouvelles
libérations. Douze des 75 dissidents incarcérés en 2003
ont été relâchés depuis avril dernier. Leur
santé fragile a peut-être contribué à leur élargissement.
Selon des organisations de défense des droits de l'homme, Cuba compterait
encore quelque 340 prisonniers politiques.
Raul Rivero a aussitôt salué le rôle, dans sa libération,
de la "nouvelle politique espagnole" [qui prône la reprise du dialogue
avec Cuba]. Le célèbre poète et journaliste sait "par
expérience que la pression n'a jamais eu d'effet sur les autorités
cubaines".
Cette opinion et les libérations devraient renforcer la position de
l'Espagne dans ses démarches au sein de l'UE en faveur d'une normalisation
des relations avec La Havane. Madrid prétend néanmoins poursuivre
toujours l'objectif commun européen de défendre et promouvoir
les droits de l'homme à Cuba.
Selon des sources diplomatiques consultées à Madrid et à
La Havane, la position espagnole serait appuyée par le Royaume-Uni,
la Belgique, la Grèce et le Portugal. Les réticences les plus
vives viendraient de pays d'Europe de l'Est qui ont adhéré
en mai dernier à l'UE et qui ont longtemps souffert du communisme,
dont se réclame encore Fidel Castro.
Les Pays-Bas également apprécieraient peu le changement de cap souhaité par
l'Espagne. Le ministre néerlandais des Affaires étrangères,
Bernard Bot, dont le pays assume la présidence semestrielle de l'UE, estime que
"cette libération [de dissidents] ne doit pas impliquer de contrepartie. Aucune
contrepartie n’est possible pour avoir libéré des prisonniers qui n’auraient pas
dû aller en prison". Une éventuelle normalisation diplomatique avec Cuba pourrait
néanmoins être débattue au sein de l'UE avant la fin de l'année.
Et les autres prisonniers politiques?
Au-delà de la satisfaction générale soulevée
par les dernières libérations, tant l'Union européenne
(par la voix des Pays-Bas) que les Etats-Unis, les organisations internationales
de défense des droits de l'homme et les opposants cubains au régime
de Fidel Castro réclament la mise en liberté de tous les prisonniers
politiques.
A cet égard, le pessimisme est fréquent. L'élargissement
de tous les détenus politiques signifierait un bouleversement du régime,
non reflété par la mansuétude dont viennent de bénéficier
quelques-uns d'entre eux. "Jeu politique de Castro", "stratégie pour
démanteler les sanctions européennes", "peur du scandale que
provoquerait la mort en prison de dissidents malades"... l'une ou l'autre
de ces interprétations négatives des récentes libérations
émanent de plusieurs dissidents cubains, notamment Elizardo Sanchez
et Vladimiro Roca.
Washington se refuse à voir dans ces libérations le fruit de
la diplomatie espagnole. Le porte-parole du Département d'Etat, Richard
Boucher, les attribue à la fermeté croissante de nombreux pays
européens et latino-américains qui, comme les Etats-Unis, font
pression sur le gouvernement cubain à propos du respect des droits
de l'homme.
Selon le ministre espagnol des Relations extérieures, Miguel Angel
Moratinos, l'Espagne prône essentiellement la révision par l'UE
de l'invitation faite aux dissidents par les ambassades européennes
à La Havane lors de dates significatives. Mais des sources diplomatiques
estiment que dans la foulée d'une éventuelle révision
des sanctions diplomatiques européennes contre Cuba, Madrid proposerait
l'adhésion de Cuba à l'Accord de Cotonou. Refusée jusqu'à
présent au régime castriste pour manquements aux droits de
l'homme, cette adhésion ferait de Cuba un partenaire commercial privilégié
de l'UE.
Déjà monnaie de politique extérieure, les dissidents
cubains, incarcérés et libérés au rythme des
intérêts castristes, entreraient alors dans le panier des devises
du commerce international.
"Pourquoi tant de griefs contre Fidel Castro, mais non, par exemple, contre
la dictature chinoise?" s'étonnent à Madrid des responsables
socialistes...
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